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31 décembre 2009 4 31 /12 /décembre /2009 17:53

Du 11 janvier au 6 mars 2010, le Salon d'art présente des estampes de Thierry Mortiaux.

Vernissage le lundi 11 janvier à 19 heures.

*

Thierry Mortiaux est un lettré. Il parle notamment le russe (il a vécu mille jours en Sibérie) et le mandarin (il s’exerce deux mois l’an en Chine). Il a abandonné la bande dessinée pour la gravure – la succession temporelle des images pour l’espace imposé au papier par la plaque.

Mortiaux dessine beaucoup : à la plume, au pinceau. Ses gravures combinent des éléments de ses dessins (dont il est insatisfait). Il incarne ces fragments dans la matière concrète de la matrice : vernis sur zinc, aquatintes, morsure d’acide et quelques épreuves. Se succèdent au pas de charge les contrastes et les paradoxes – les espaces perceptifs et les tensions sémantiques – d’une dramaturgie vouée à la chair dans un sourire qui montre les dents.

Mortiaux expérimente un large éventail de moyens plus picturaux que graphiques. Il ne s’interroge en rien sur l’art – mais il entreprend la maîtrise des écarts qui font interagir les éléments constitutifs de l’image (mouvements, intensités et grains) jusqu’à susciter l’espace-temps dont l’activité caractérise l’œuvre avérée. Une mémoire photographique authentifie le détail de ces scènes imaginaires. Et parmi les étrangetés arrachées au métal, nourries de barbaries russes, chinoises ou autres, apparait la trace discrète d’attachements personnels.

Georges MEURANT

 

Le Salon d'art, rue de l’Hôtel des Monnaies, 81 - 1060 Bruxelles - tél. 02 537 65 40 www.lesalondart.be

Salon ouvert du mardi au vendredi de 14 h à 18 h 30

le samedi de 9 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h.

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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 21:26

Inédit nouveau signale la récente livraison du Bulletin de la Fondation ça ira consacrée presque entièrement à Jean-Jacques Gailliard (cf le blog du 19 octobre). En couverture, un dessin de Gailliard des années vingt, représentant Isadora Duncan, la célèbre “danseuse aux pieds nus”.

Isadora.jpg

Ça ira 39 est presque entièrement consacré à un avant-gardiste de choix, le peintre, graveur et dessinateur Jean-Jacques Gailliard (1890-1976), qui connaissait la revue depuis 1921! Excellente raison de rappeler cet adorable petit homme, resté vif, et même vif-argent (argent qu'il avait peu) jusqu'à sa fin, j'en fus témoin direct. De plus il écrivait aussi et même s'était fait philosophe (là aussi d'avant-garde) en se passionnant pour l'étrange mystique Swedenborg.

C'est Henri-Floris Jespers qui a fait le travail avec sa précision habituelle, plus complet qu'on ne peut en rêver, en encyclopédiste de choc dans ces domaines trop mal connus en notre temps de bestsellers. Frotté de dadaïsme et de surréalisme, ami de Cocteau, Picasso et Satie entre tant d'autres, Gailliard est passé par beaucoup des idées et tentatives qui ont traversé le XXe siècle, et ne s'est jamais pris au sérieux, comme l'indique bien ses “Paroles de peintre” dont des extraits significatifs sont republiés ici.

Autre hommage rendu par le même Jespers dans ce numéro, c'est à Marcel Van Maele, qu'il a célébré déjà dans sa revue flamande.

Je continue à être ému de la fidélité des deux fils de Paul Neuhuys à la mémoire de leur père, qui fut aussi un ami de Gailliard.

Paul VAN MELLE

Inédit nouveau, no 238, janvier 2010, 32 p.

Avenue du Chant d'Oiseaux 11

B 1310 La Hulpe – Belgique

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 21:25

En réalité la France n'eut qu'un roi : Voltaire

On lui pardonne d'être un peu prussien

d'avoir sa chambre à Potsdam

car comme disait son royal copain :

On n'a pas plus d'esprit que ce drille !

Surtout lorsqu'il imite l'accent savoyard

et qu'il fait de Jeanne d'Arc une fille d'écurie

Dans son carrosse d'azur constellé d'or

il caresse le goût de l'amphigourique :

Je prends dans les livres, dit-il,

tout ce qui me passe par la tête...

L'Angleterre est son idéal

mais ne lui parlez pas de Shakespeare :

Un fumier où l'on trouve quelques perles...

Candide fessé en cadence n'est qu'un cuisant souvenir de son séjour aux Pays-Bas

Si le Christ fut crucifié

c'est parce qu'il n'avait pas de diplôme en théologie

Et l'image est déjà dans Micromégas

d'insectes se dévorant sur un atome de boue

Dada est né au Cabaret Voltaire


Paul NEUHUYS

(Ça n'a encore une fois pas marché, Bruxelles, Phantomas, 1972, p. 37)

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 21:20

Situations shakespeariennes

Plusieurs sujets entremêlés

Croisement Repiquage

d'intrigues entrelacées

Un juge au front sévère :

Faites comparaître la fornicatrice...

Le décor de Comme il vous Plaira

Château du Roussillon

Un vieux roi se traîne comme une otarie malade

Deux ours ne peuvent se rencontrer sans se mordre

jusqu'au jour où... Fanfare ! Tous sortent...

C'est le jardin des ramifications imprévues

Montaigne et sa pérenne branloire

Montaigus Armagnacs Gibelins

De l'euphuisme de la reine Mab

jusqu'à l'euphémisme des Euménides :

Si tu meurs cette année, sois content,

tu en seras débarrassé l'année prochaine...


Paul NEUHUYS

(Ça n'a encore une fois pas marché, Bruxelles, Phantomas, 1972, p. 36)

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 20:51

   


   Apulée lorsqu'il parle des colombes dont le vol irait se poser sur le toit lumineux de la mer profonde, n'annonce-t-il pas le Cimetière Marin ?


    Fontenelle qui meurt centenaire en disant qu'il éprouve comme “une difficulté d'être” ne permet-il pas à Cocteau d'affirmer 3 siècles plus tard que les antibiotiques tuent la mort et nous empêchent de vivre ?


    Déjà on peut lire dans Hoffman : La soupière est sur la table ou encore : C'est moi la cafetière, tu ne m'as pas reconnu. Nouveau Roman ?


   Enfin la réplique du vieux Sardou dans la Tosca : Bandits qui faites de telles choses et Soleil qui les éclaire ! Cette Humanité croupissante sous un soleil morne : Après nous les Mouches...

Il y a aussi le Jeu d'Asteblief Choukelief


Anémone pour Simone

Réséda pour Ida

Asphodèle pour Adèle

Asteblief Choukelief


Paul NEUHUYS

(Ça n'a encore une fois pas marché, Bruxelles, Phantomas, 1972, p. 41)

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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 19:43


“Qu'un petit livre suscite l'attention en racontant n'importe quoi (ou presque), c'est étrange, rare, c'est Belge. Écrit en 1922 par un certain Paul Joostens, Salopes est un texte définitivement dada: déconstruit, aléatoire et joyeusement chaotique. Son auteur est un peintre d'avant-garde marqué par le futurisme et le cubisme. Lorsqu'il prend la plume, son souci de modernité se manifeste encore. De quoi est fait Salopes? D'images folles et de phrases absurdes. Quelques vagues repères sont posés (un pays qui s'appelle Éléphantide, visité par Salopette et Monsieur Babilo) et c'est parti pour 37 pages destinées à offenser la raison. […] Grâce à Salopes, on comprend que se moquer du monde est un art authentiquement littéraire.” (Amaury da Cunha, Le Monde, 20 novembre 2009).

*

Paul Joostens livra Salopes aux éditions Ça Ira en 1921, l'année de la parution, aux mêmes éditions, de L'Apologie de la paresse de Clément Pansaers. La publication de Salopes. Le quart d'heure de rage ou Le soleil sans chapeau sera effective en 1922, un an avant que Ça Ira ne publie Les Rêves et la Jambe de Henry Michaux.

(Voir également le blog du 6 novembre)

Paul JOOSTENS, Salopes, Paris, Allia, 2009, 43 p., 6,10 €. ISBN: 978-2-84485-330-I

 


Paul Joostens

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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 04:22

Je ne voudrais, ni par la critique, ni par la louange, alourdir les pages de ce livre que, loin du tumulte, un poète jeune a rêvé.

Les fleurs de bonne volonté, comme les appelle Laforgue, parlent d’abord par elles-mêmes, et encore, elles sont douées d’un charme si subtil, qu’elles se disent, toutes, en rendant leur parfum.

Ce sont aussi, du reste, les fruits que nous goûtons, à même les branches qui les portent, qui nous paraissent les plus suaves, parce qu’alors – et surtout à ainsi les cueillir, – on sent mieux que c’est leur fraîcheur native et impolluée qui se donne; et, on peut en penser de même des livres que font les poètes, et en déduire, que: tout commentaire, quel qu’en soit le prétexte, loin d’ajouter à la valeur du poème, n’est qu’un apport étranger qui ne peut que lui nuire, parce que nécessairement situé hors de lui.

Les seules contingences qui puissent éventuellement avoir une action effective sur le poème, sont celles qui président à sa genèse; le poème naît sous une étoile qui l’influe, comme il développe une ambiance que le poète subit.

Il en est, en effet, de l’âme des poètes, comme de celle que l’on prête aux roseaux: elle prend vie à tout vent, pour s’émouvoir chantante et mélodieuse, au gré de l’instant en la paix qu’il apporte, ou dans la douleur qu’il élit.

Le décor de la vie la subjugue, l’ambiance du milieu la domine, et, comme elle est aimante, en conséquence elle subit l’objectivité qui l’environne, mais dans une si ineffable communion, qu’elle y puise, à même son émoi, la raison de son inspiration.

C’est aussi qu’elle est devant le monde, comme sont les lèvres au bord du vase et qui, sitientes, appètent l’ivresse, dans la liqueur de la coupe qui leur est tendue.

C’est encore que l’âme du poète ne s’ouvre que pour donner vie à ses songes, comme l’arbre ou la plante n’épanouit ses fleurs que pour faire ses graines ou son fruit.

Or, ainsi s’avère, une fois de plus, la parole évangélique qui dit du verbe, qu’il se fait chair; et il s’en suit qu’on peut en déduire que, fruit du rêve, tout poème n’est, en sa somme, qu’une idéale moisson de l’âme, faite dans le champ du temps, du monde et de la vie et dont la variable richesse se dénonce, autant par le chant du Moissonneur lui-même, que par la qualité de la gerbe qu’il engrange.

Aoûteron dans les sillons du rêve, le poète, en effet, s’il moissonne, n’engendre néanmoins pas la moisson, car c’est en dehors de lui, ou de son effort, qu’elle lève, monte et mûrit, au gré des contingences, pauvre ou riche, débile ou abondante.

La part créatrice qui revient donc au poète, dans la genèse du poème, est, par conséquent, nécessairement limitée, et bornée autrement que par la seule étendue de son génie ou la puissance de son inspiration.

Il conviendrait, en effet, d’envisager le poème comme une cristallisation essentielle du rêve, dont l’ordonnance serait, en quelque sorte, comme préétablie, et en conséquence, par rapport au poète, substantiellement fixée hors de lui.

Tout rêve, en l’attente de l’accueil que peut lui faire notre âme, est, du reste, situé dans le temps et l’espace, où il ne se différencie de ce qui matériellement nous entoure, que par une objectivité virtuelle, inaccessible à nos sens, mais perceptible par notre pensée.

Il existe donc ‘ce pays des rêves’, qui, moins qu’on le croit, est un postulat poétique, dont on a du reste quelque peu abusé, et qui correspond jusqu’à un certain point aux Limbes qu’ont entrevus, par aperception, les âmes averties.

Or, c’est là, et là seulement, que le poète se sent, ou se retouve, dans sa terre d’élection. Car il sait que l’homme vit dans deux des plans de l’Universalité: l’un, qui est le plan apparent, celui de son habitat coutumier, et où, par les jours clairs, le soleil projette, en noir sur le sol, l’ombre de sa chair; l’autre, infiniment plus subtil, où il n’accède conscient, qu’aux heures élues, ou encore, inconsciemment, quand le sommeil l’abstrait, mais sans maîtrise alors, sur une fin ou un but.

Harmonies incréées: musiques, rythmes, lumières; parfums, chants et couleurs, existant en essence, instaurés en puissance, mais sans règne et sans couronne; chair épandue du rêve parce qu’informulée, c’est vous, là-bas, à l’heure élue, que va chercher le poète, vous ouvrant son âme en tout amour, pour que vous y trouviez le moule prédestiné où vous incarner; pour vous donner cette joie ou cette douleur d’ être, mais qui s’appelle pourtant la vie.

Et, les livres des poètes sont ainsi des actes de foi, en même temps qu’ils sont des actes d’amour, et, mieux que par toute démonstration liminaire, le lecteur s’en convaincra en parcourant les pages de ce livre.

Max Elskamp

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7 novembre 2009 6 07 /11 /novembre /2009 13:27

  Après le scandale provoqué par La Source et l'infini (cf. le blog du 4 novembre), Paul Neuhuys entend se racheter auprès de sa famille, et surtout aux yeux de sa mère, et passe d'une poésie quelque peu maniérée et sensuelle à ce qu'il qualifiera lui-même de “prouesse de rhétoricien”. Sous l'occupation allemande, de délit, la poésie devient acte emblématique de vertu. Neuhuys écrit des poèmes exemplairement empreints de bons sentiments et de pensées élevées, entonnant la louange du roi Albert I, “l'archange”, ou couvrant d'injures le Kaiser, “cyclope cruel”. Le devoir patriotique accompli, les strophes vengeresses bien décochées, c'est toutefois le désir de confession qui ne tarde plus à reprendre le dessus.

Loin du Tumulte, le second recueil de Neuhuys, paraît dès la fin de l'occupation en 1918 chez Pierre Dirix à Anvers.

*

Le cycle 'Trois anversois' porte en épigraphe une exhortation de Victor Hugo:

Admire, c'est ainsi qu'on monte au firmament;

Comprendre le génie est le commencement.

Neuhuys y invoque Émile Verhaeren, “maître bien aimé”, “sublime somnanbule”, “notre hidalgo halluciné” – “Lui, qui domptait les mots comme on dompte les fauves”.

Le jeune poète reconnaît devoir à Georges Eekhoud la découverte de l'amour du genre humain, “généreuse utopie”. C'est l'auteur du Cycle patibulaire qui lui fit prendre conscience de la grandeur du petit peuple, qui lui apprit que c'est parmi les “gueux” et les “voyous martyrs” que naissent les poètes.

Enfin, dans un hommage daté de fin décembre 1916, c'est le “maître mystérieux”, “inouï Salomon”, qui est évoqué, Max Elskamp.

 

Max Elskamp

Poète au pâle front, de bénévole augure,

Qui te réclames de l’enfant fervent, encor,

Ta muse, en s’arrangeant avec grâce, inaugure

Un mode d’éprouver et de s’exprimer d’or.


Ce langage fleuri, qui reflète un remous

D’abysses bleus, de vergues d’or, d’étoiles frêles,

Parfois complique si infiniment ses ailes

Qu’il devient douloureux à force d’être doux.


Peintre qui te dédies aux maîtres primitifs,

Le ton de décadent dont ta palette est pleine

Aux anges de Memling pose un reflet furtif

De mauve Mallarmé et de doux bleu Verlaine.


Ton âme d’enfant clair, miniature d’un ciel

Qui se complait toujours aux grotesques candides,

Est sage comme ces images de missel

Dont s’est enluminé ton horizon limpide.


Penseur fervent, penseur profond, penseur fragile,

Tes mots, à force d’être simples, sont hardis;

Ils répandent une grâce d’outre-Évangile

Qui nous apprend comment on parle en Paradis.


Parmi toutes les nefs que ton rêve imagine,

Il en est une dont le sourire amical

T’invite à découvrir, pour ta tristesse fine,

Un domaine vraiment, vraiment dominical.


Tu rêves d’Orient, alors, et t’extasies

Vers l’Archipel fleuri et le steppe nacré;

Tu voudrais te choisir dans la lointaine Asie,

Au sein des alizés, un asile sacré.


Tu rêves du pays salubre, atténué

Par des mœurs s’inclinant au gré des moussons chaudes,

Et où, après avoir, gracieux, évolué,

Les paons fiers font la roue au sommet des pagodes.



Là, des plumages d’or brillent dans l’air doré;

Dans l’onde pacifique où nagent des dorades,

Le soleil plonge, au soir, son grand disque adoré,

Quand le geai pousse un cri sur son palais de jade.


C’est là que tu prends ta sagesse quotidienne;

C’est là que tu voudrais, inouï Salomon,

T’étendre infiniment, quand l’ombre méridienne

Va se projeter sur l’admirable gnomon.


Le soleil comble d’or ce pays indolent,

Où des femmes, fleurs que le désir enveloppe,

Pour s’offrir à vos sens, s’avancent, à pas lent,

Parmi les tournesols et les héliotropes.


Et tu causes ainsi d’une Chine bénie,

En levant un index philosophique et las,

Et quand ta voix se tait, rêveuse... tu t’écries:

Je ne sais pas, vraiment, pourquoi je vous dis ça.


Tu es le mieux-disant, ô maître, sur ta bouche

Viennent s’épanouir de blonds Eldorados;

L’Europe te fait peur, toi, celui qu’effarouche

La goétie monstrueuse des ghettos.


Ô Max Elskamp, ô mon maître mystérieux,

Par ces temps menstruels, j’aime, dans notre fange,

Découvrir, un à un, les arcanes pieux,

Dont tu tressas, jadis, ta candide Louange.


Ce que n’oubliera jamais mon cœur sincère,

C’est la minute de bonheur effarouché,

L’instant inespéré de confusion chère,

Où vers moi, votre front, bienveillant, s’est penché.


Comme il se doit, cet hommage du disciple contient des allusions précises à l'œuvre du maître. Mais l'évocation d'Elskamp parlant “d'une Chine bien bénie” répercute des conversations bien réelles, car l'œuvre du maître, en décembre 1916, ne contient encore aucune allusion à cette contrée combien pour lui fabuleuse.


Neuhuys allait “assez régulièrement” voir Elskamp dans son hôtel de l'avenue Léopold.

Dès l'entrée, introduit par un domestique au salon du rez-de-chaussée, on était assailli par des dragons chinois, des estampes japonaises et une horloge dont le cadran indiquait le mouvement du soleil à travers les signes du zodiaque. Après quelques instants d'attente, le poète nous recevait au premier étage. Il m'ouvrait, à l'écolier des lettres que j'étais alors, tous les recoins de sa bibliothèque: Mallarmé, Villiers, Suarès. Elskamp était mon école du soir, mon université populaire.

[…] Il me parlait de la Chine, de la poésie, des nègres, des juifs et des flamingants... […] Il y avait dans son accueil quelque chose d'ineffablement bon, mais aussi de cruellement désabusé.


Dans sa préface, Elskamp développe une conception mystique de la poésie: celle-ci est le reflet du monde imaginal (1) dans lequel elle prend racine.

Henri-Floris JESPERS

(1) Le terme "imaginal" (par opposition à "imaginaire") est emprunté à Henry Corbin - j'y reviendrez.

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6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 14:06


Gérard Berréby définit sa maison d'édition comme “un laboratoire expérimental”. Small is beautiful. Il confie à Josyane Savigneau (Le Monde, 17 octobre) que cela ne peut se faire “sans une liberté d'esprit et, donc, une autonomie financière totale”.

Un développement quantitatif trop intense nous ferait glisser dans ce que vous nommez le métier industriel de l'édition, qui ne va pas, que je sache, sans quelques fatales concessions. Publier selon son goût aujourd'hui relève d'un luxe aristocratique. Mais Allia est la preuve que cela est possible.

*

Depuis la création des éditions Allia en 1982, Berréby a publié près de 500 titres. Personage atypique et combien attachant, c'est moins un catalogue qu'une bibliothèque selon son goût qu'il se constitue pour son plaisir, soulignant qu'il ne s'agit pas

de coller au langage d'une époque qui a perdu le pouvoir de pensée contenu dans le langage. L'édition est une chose trop importante pour qu'elle puisse être abandonnée aux seuls éditeurs.

*

Le catalogue d'Allia se présente comme un vaste essai, work in progress à savourer soigneusement. La collection consacrée à la musique populaire reste une référence, et depuis quelques années, Allia publie des premiers romans français contemporains avec succès (Valérie Mréjen, Grégoire Bouillier, Olivier Rohe).

De la première parodie épique (La Batrachomyomachie, attribuée à Homère) aux récentes investigations sur la 'surveillance électronique planétaire' de Duncan Campbell ou les Miscellanées de Mr. Schott en passant par le néoplatonisme de Marsil Ficin, par Pic de la Mirandole et Giordano Bruno, La vie des nonnes de l’Arétin ou Awopbopaloobop Alopbamboom de Nik Cohn, la bibliothèque Allia pratique ce décentrement qui illustre combien ce sont les marges qui valent le détour, même s’il faut parfois virer de bord. D’aucuns, partisans d’un certain ordre, n’y verront qu’un débraillé éclectique. Mais ce prétendu désordre cache un ordre bien fondé.

L’emblème de la maison, ces deux cavaliers qui ornent les pages intérieures de titres, représente Boris et Gleb, deux saints de l’église orthodoxe connus pour leur amitié. Autour de cette représentation court une citation de Salluste : Idem velle ac idem nolle (‘les mêmes désirs et les mêmes répugnances’) tirée de son Catilina. La suite de cette citation éclaire son lien avec l’emblème puisqu’elle se termine sur ces mots : “c’est en somme l’amitié dans toute sa force”. La suite du texte éclaire avec force le projet d’Allia :

... je sens mon coeur s’enflammer chaque jour davantage, quand je considère ce que sera notre avenir, si nous ne travaillons pas nous mêmes à conquérir notre liberté. Depuis que la République est devenue la possession, la chose de quelques grands personnages, invariablement c’est à eux que rois et tétrarques ont versé les impôts, que peuples et nations ont payé les tributs ; nous autres, les braves et les énergiques, nobles ou plébéiens, nous sommes la racaille, sans crédit, sans influence, esclaves de gens dont nous nous ferions craindre, si tout marchait bien. Crédit, pouvoir, honneurs, argent, tout est à eux ou à leurs amis ; à nous ils laissent les échecs, les dangers, les condamnations, la misère. (...) Peut-on, si l’on a du cœur, peut-on tolérer ces énormes fortunes, qu’ils gaspillent à bâtir sur la mer, à niveler les montagnes, pendant que nous n’avons pas d’argent même pour le nécessaire ? Peut-on leur laisser édifier deux ou trois maisons à côté l’une de l’autre, tandis que nous n’avons nulle part un foyer bien à nous ? Ils achètent des tableaux, des statues, des objets d’art, font démolir une maison qu’ils viennent de construire pour en bâtir une autre, bref imaginent cent moyens de dissiper et de gaspiller leur argent, sans que, par leurs folies, ils puissent jamais envenir à bout. Et pendant ce temps, c’est chez nous l’indigence, au-dehors les dettes, un présent sinistre, un avenir encore plus sombre ; en un mot, une seule chose nous reste, l’air que nous respirons pour notre malheur. Réveillez-vous donc!”

*

Paul Joostens livre Salopes aux éditions Ça Ira en 1921, l'année de la parution, aux mêmes éditions, de L'Apologie de la paresse de Clément Pansaers. La publication de Salopes. Le quart d'heure de rage ou Le soleil sans chapeau sera effective en 1922, un an avant que Ça Ira ne publie Les Rêves et la Jambe de Henry Michaux.

À la queue de l'élégante réédition de Salopes chez Allia, une notice anonyme souligne que ces trois textes constituent “le point d'orgue paroxystique de l'expression dada en Belgique”.

Henri-Floris JESPERS


Paul JOOSTENS, Salopes, Paris, Allia, 2009, 43 p., 6,10 €. ISBN: 978-2-84485-330-I

Gérard Berréby: 'Je suis attentif aux textes qui éveillent les consciences'. Propos recueillis par Josyane Savigneau, in Le Monde, 17 octobre 2009.

 

Sur ce blog:

À propos de Paul Joostens:

Exit Paul Joostens, 10 février 2008

À propos de Paul Joostens, 26 février 2008

Diatribes de Joostens contre Seuphor, 30 mars 2008

Hubert Lampo, Paul Joostens & Paul Neuhuys, 31 août 2008.

Neuhuys, Blavier, Joostens & Chatté, 31 août 2008

Paul Joostens, Paul Neuhuys & Alain Germoz, 12 décembre 2008.

Paul Joostens, 21 septembre 2009.


À propos de Gérard Berréby et des éditions Allia:


Piet de Groof, le général situationniste, 27 janvier 2008.

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4 novembre 2009 3 04 /11 /novembre /2009 01:10

Paul Neuhuys (1897-1984) aimait répéter que son entrée en poésie fut marquée par une exclusion. Son premier recueil, La Source et l’Infini, édité par Oscar Lamberty à Bruxelles et illustré de dessins de Paul Joostens (1888-1961), fit scandale :

[…] et mon père appelé chez le préfet de l’Athénée fut prié de me retirer de l’établissement, car j’étais devenu pour mes condisciples un exemple peu recommandable. Ce fut le prétexte à une véritable émeute scolaire. Cela se passait en 1914.

Lorsqu’il publia ce premier recueil, Neuhuys avait seize ans, mais la plupart des poèmes qu’il contient furent écrits à quinze ou même à quatorze ans. Exaltant le pouvoir d’imagination, l’écriture se fait complice de la sensualité exigeante du poète adolescent. Ces “frissons lactescents” et ces “voluptés flaves”, cette “coruscation des sèves immanentes” et cette “chair turgescente”, ces “soirs patibulaires”, ces “ventres mercantiles”, ces inévitables “ruts rutilants”, tout cela est marqué au sceau indélébile du décadentisme fin de siècle, “ce bric-à-brac gréco-préraphaélitico modern' style” dont parle Jean Cocteau.

On chante ce qu’on n’ose pas dire parce qu’on n’ose pas dire ce qu’on voudrait faire.” La poésie, 'oasis de divagations et de rêvasseries', permet au jeune poète de compenser une profonde détresse et d’exprimer ce qu’il sent en lui de trouble et d’inquiet.

Il chante “les tiédeurs de l’aube maternelle”, les “jouissances lactées” et “l’oiseau bleu” qui cherche son nid. Les “caresses ailées” et les “ailes infinies” évoquent une angélophanie intime, dramatisée sous “le ciel incandescent des ailes” et sous le signe de l’aile déchirée (“une aile se déchire en naissances nouvelles”).

Plume, aile, oiseau, le vol et le mouvement vertical (la fascination du gouffre d’en haut et d’en baset ses hyperthèmes, le bond de l’acrobate et la pirouette du clown) : cet imaginaire aérien et ascensionnel dominera l’œuvre de Neuhuys. “Les poètes sont toujours icariens”,dit-il, mais “le marbre incertain des ailes” est menacé de déchirures.

Lys sibyllins”, “roses obscènes”, “chrysanthèmes inodores”, “les soirs nuptiaux que sont toutes les fleurs” : La Source et l’infini introduit également le langage floral et le régime végétal de l’imaginaire dont la poésie de Neuhuys sera l’illustration parfaite.

Aux raccords mallarméens et au vague à l’âme de la diction maeterlinckienne s’ajoutent les amplifiants apports de l’Abbaye et de l’unanimisme (“Humanité ! Humanité ! que n’es-tu l’unanimité” ; “Je suis les nerfs tordus des foules énergiques”). À la suite de Hugo, de Sue, de Zola et de Verhaeren, le poète évoque la réalité organique de la ville (“Il est des univers dans les sensations autant qu’il est des nerfs dans la ville incongrue”), peuplée de fleurs urbaines, ces courtisanes auxquelles le poète gardera toute sa vie une tendresse empreinte de respect.

Henri-Floris JESPERS

*

Il est des univers dans les sensations

autant qu’il est de nerfs dans la ville incongrue ;

sensations des soirs, sensations des rues,

sans cesse vers l’espoir des satisfactions.

 

Là-bas vers l’or vineux des villes

où les novembres se démembrent

le long des hêtres sur les êtres

en feuilles rouges en feuilles noires,


 

Là-bas l’étreinte désultoire

qui sert la fille qu’elle serre

l’étreinte immense et somnifère

se cambre comme une agonie


 

quand sur de longs trottoirs très lents

s’en vont sans cesse les passants

promener leurs mansuétudes paresseuses.

en déchirant, en supputant

les derniers jours des trois printemps

qui s’en vont

vers les incommodités hiémales

avec de peccables intentions

dans l’indisposition

novembrale

des passants.

 

Et le long des trottoirs trotte la ville chaude

trottent les chairs en deuil des villes promiscues

quand le soir très nerveux vient quémander au monde

pour les soleils couchants un peu du sang des rues.

 

Et latemment le soir fébrile

se loge dans les nerfs rouges de la ville

et le soir rouge de novembre

sous la domination gigantine

de l’exemple solaire

descend son sang aurifère

et unanime

dans toutes les poitrines délétères.

 

Il est des univers dans les sensations

autant qu’il est de nerfs dans la ville incongrue

sensations des soirs, sensations des rues,

sans cesse vers l’espoir des satisfactions.

Paul NEUHUYS

(La Source et l'Infini, Bruxelles, Oscar Lamberty, 1914)

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