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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 11:04

 

Lecomte2.jpg

J'ai rencontré pour la première fois Marcel Lecomte vers les années 20, du temps qu'il faisait son service militaire, et qu'il était, je crois, caserné à Anvers. J'habitais la rue du Moulin, ainsi dénommée parce que c'est une rue qui tourne comme la fortune.

Crâne tondu, uniforme kaki, Marcel Lecomte venait me lire son poème Irène écrit dans les serres chaudes du désenchantement. Ce qui caractérisait déjà l'homme, c'était une certaine coquetterie, la coquetterie de la lenteur. Nul ne connaît comme lui l'art de décomposer les gestes.

Poésie très élaborée, formulée à voix haute dans l'hyperespace cryptique du rêve ? « Il m'apparut, dit-il, que la création de mythes pouvait mieux m'aider à vivre que la perception du réel immédiat. » Et c'est à partir du Règne de la lenteur que la métaphore devient symbole, se hausse jusqu'au mythe et du mythe jusqu'aux archétypes. « De quels traits se formeraient les dieux s'ils n'étaient marqués de signatures astrales, de celles des plantes et des réseaux les plus complexes et délicats de la pierre ? De quels traits se formeraient-ils, s'ils n'étaient l'alphabet des métamorphoses ? »

Marcel Lecomte me parlait de ses voyages, de ses lectures : il avait été en Thuringe sur les traces d'Hölderlin, en Provence à la découverte des Albigeois. Il me parlait de Paracelse, de Corneille Agrippa. « Tu sais, concluait-il, le monde invisible existe, mais il ne s'occupe pas de nous. » Il m'avait promis un jeu de tarots... Mais aujourd'hui, spectateur effacé, il a quitté cette terre de chair.

Paul NEUHUYS

(Mémoires à dada, Bruxelles, Le Cri, coll.Les Évadés de l'Oubli, 1996)

 

                                                   Irène

                                                          À Georges Bohy

Le ciel est dans l'eau

joli poisson bleu

La vie – Irène – est opium à chaque minute

et tu connais la vérité – la plus belle religion

du monde – c'est toi

Bâtis en salles de spectacle tes yeux – on voit –

on voit le soleil qui plonge au crépuscule

et encore le gouffre béant que dérobe le soleil

Toute la lumière s'épanche du sein de la terre

roule sur toi debout le long de ton corps qui

gémit –

violoncelle que fait chanter la corde du vent –

Irène

tes bras tournent dans l'ombre – et ta tête –

clarté bleue – s'incline charmante attendrie

sur un gros nuage qui passe en effaçant la lune –

à l'étang – caressent souriantes – l'eau verte

les algues la mousse végétation souriante – tes mains

- couples d'oiseaux

blancs.

Le soir tu es un désir profond

qui luit comme une feuille de verre

brille feuille à feuille

brin d'herbe géant.

Tout s'écroule de moi.

Tu laisses un dessin sans apparences arabesques

serpente dans le noir – silence.

Demain à l'aube en fleur-de-glace

mon espoir qui tinte au réveil de la forêt

et – femme – tu seras la lune

suspendue à la dernière branche morte.

*

'Irène' parut dans le premier recueil de Marcel Lecomte, Démonstrations (Ça ira, Anvers, 1922).

Marcel LECOMTE, Poésies complètes. Édition établie et présentée par Philippe Dewolf. Postface de Colette Lambrichs. Avec deux dessins de René Magritte. Paris, Clepsydre / Éditions de la Différence, 2009, 253 p.

HFJ

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