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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 04:33

 

La mémoire de Georges Linze (1900-1993) me semble bien négligée. En 1969, dans Combat, Alain Bosquet (1919-1998) le qualifiait à juste titre de “poète méconnu”.

Il y aura bientôt quatre décennies, Paul Neuhuys (1897-1984) lui rendait hommage dans 'Apanage à ma poigne', un texte repris dans Mémoires à dada(1996).

 

Encore un nom qui se rattache pour moi à de très vieux souvenirs : Georges Linze. Des souvenirs qui remontent à un demi-siècle. Linze c’était Liège et son groupe d’Art moderne, Bourgeois c’était Bruxelles et son groupe l’Équerre comme Anvers c’était le groupe Ça Ira. Dans l’anthologie de la Lanterne sourde où nous figurions tous les trois, Bourgeois, Linze et moi, Bruxelles, Liège, Anvers se donnaient la main par-dessus nos dissensions régionales.

Si Linze dans sa revue Anthologie apparaissait comme un des tenants du futurisme, Bourgeois dans Sept Arts défendait plutôt le cubisme tandis que Ça Ira voyait dans Dada la première pilule atomique intérieure, la partie de ping-pong Pound-Picabia.

Linze était le champion du futurisme, le futurisme de Marinetti et du manifeste qu’il lance du haut de son avion aux habitants de Palerme : une machine est plus belle que la victoire de Samothrace ! Linze tient manifestement de Marinetti le goût du manifeste. Mais il y a chez Linze une qualité foncière, parfois même latente, tacite, muette, qui est indispensable en poésie, c’est l’enthousiasme.

Linze.jpg

Le mot enthousiasme nous vient directement du grec et signifie transport divin. Il fut introduit dans la langue française par la Pléiade vers 1555 : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, Mignonne allons voir si la rose… C’était l’enthousiasme de la Pléiade, tandis qu’aujourd’hui le transport divin serait plutôt le tramway nommé Désir. Prendre son désir pour la réalité. Il y a de cela dans Linze. C’est une poésie de parti pris délibérément traversée par l’exaltation de la vie moderne et son impératif technologique : l’outil du travail, la machine. Existentialisme, foi dans l’absurde ? Non, au contraire, foi dans le merveilleux scientifique. L’absurde est affaire de banlieue planétaire et l’esprit chagrin ne participe pas à l’harmonie universelle. Les mains sales font l’usine propre. C’est l’enthousiasme de l’exactitude, du paysage inventorié, le pont millimétriquement exact jeté sur le dévergondage de la rivière. Capter le lyrisme d’une hélice.

La conquête de l’espace est-elle le résultat d’une atomisation déshumanisante ? Allons-nous vers une orientation collective grandissante et vers une poésie qui se fera avec l’irrévocabilité d’un calcul électronique ? Au point qu’on en arrive à préconiser le retour au rouet, le rouet d’Omphale, et que devant ce culte de la vitesse et les perspectives de la route meurtrière on est tenté de s’écrier : « Qu’on nous rende le chariot de Mérovée ! » et Le Règne de la lenteur si cher à Marcel Lecomte, et La Ralentie d’Henri Michaux qui a multiplié ses qualités par les hallucinogènes.

Mais Linze est là avec sa précision, sa concision, sa décision. Va-t-il substituer à l’homme sa propre création mécanique ? Mais non : « Les rues sortent de terre, les machines coulent de tes mains comme un trésor… » La maison est heureuse d’être une machine à habiter. La machine veut nous déshumaniser mais justement le grand mérite de Georges Linze c’est qu’il veut donner une âme à la machine et comme on disait naguère d’un cheval de race : « Quelle bête splendide ! », il dira d’une Lancia : « Quelle sublime soft machine ! »

S’il est des machines qui nous donnent froid dans le dos, il en est d’autres dont nous ne pouvons plus nous passer : la machine à coudre qui nous berce de son doux ronronnement, la machine à écrire qui rend si clair un texte illisible, la machine à laver purificatrice du linge sale en famille, et qui sont maternelles, fraternelles, pour nous donner plus de chaleur et plus d’intimité.

La machine soulève tous les problèmes : la pollution des océans, le désarmement nucléaire, la création artificielle d’homunculus, faire des enfants sans le secours de l’homme. L’Italie devient une usine où les divorces se font à la chaîne comme les Fiat. Situation tendue en Jordanie. Nouvelle pendaison en Guinée… Qu’est-ce que cela prouve ? Que le bonheur est une chose ambiguë, que l’humanité est encore bien jeune, que les enfants inconscients, insouciants de la mort comme de la famine, vont recommencer tout cela, que l’enfance ne connaît pas son bonheur, que l’humanité démarre un cran plus haut à chaque génération, qu’elle entre dans une ère scientifique insoupçonnée, que la peur et la haine sont le fait de l’homme primitif mais que cela va disparaître dans cette marche ascendante, que les jeunes vouent une sorte d’amour à la machine, que pour Linze c’est un signe de pureté et que dans les crépitements de l’avenir on a peine à imaginer les prodiges que tous ces chauds petits cerveaux irrigués de sang et de génie nous montreront quand ils ne seront plus ces enfants d’aujourd’hui un peu bizarres parce qu’entourés de toutes sortes de sortilèges souterrains et d’électricités précieuses…

Paul NEUHUYS

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