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Le Bulletin ça ira: historiographie de la revue d'avant-garde du même nom (1920-1923) et des éditions (Michaux, Pansaers e.a.)

Guy Imperiali: « Plus on avance, plus on creuse une mort solitaire »

C’est en 1957 que Franz Hellens avait recommandé à Paul Neuhuys Guy Imperiali, un jeune écrivain dont il avait lu et apprécié l’ébauche d’un roman : Les Cheveux blonds.

Paul Neuhuys partagea ce sentiment et l’écrivit à Franz Hellens :

« Il m’a lu dernièrement la première partie de son roman et j’y ai pu apprécier une qualité que j’aime : le goût de l’aveu, lequel va je crois toujours de pair avec le don de l’expression. Il y dépeint la malédiction d’une adolescence abandonnée, la sienne […] On y trouve aussi, parallèlement à la vie du pensionnat près de Rochehaut, une radiographie presque balzacienne de Bruxelles depuis l’antique Bruqzeele jusqu’au dandysme qui se reflète, faute d’un fleuve, dans les étangs d’Ixelles. C’est par ces moyens qu’Imperiali veut nous conduire vers ce qu’il appelle le domaine du fantastique social. »

Dans les mois et les années qui suivirent, Imperiali se lia d’amitié avec Paul Neuhuys, comme en témoignent toutes les lettres qu’il lui adressa pendant six ans.

C’est lui qui, le 19 juin 1960, suggéra à Paul Neuhuys de publier un livre collectif qui contiendrait trois ou quatre pièces de théatre.

« Le titre ? Les Soirées d’Anvers. Cela pourrait avoir un grand retentissement […] un aspect nouveau de vous-même serait découvert. (le théâtre de l‘Univers, quel programme !) »

Le premier cahier des Soirées d’Anvers parut en mars 1961. Au sommaire : Le Journal de Paul Joostens, Le Théâtre d’Uphysaulune, et Les “Filles à boire “ par Imperiali.

Ce fut sa première nouvelle publiée. Il y met en préambule dans la bouche de son héros :

« Je n’ai pas vécu jusqu’à présent. Il est temps de savoir pourquoi je suis sur cette saloperie de terre, cette charogne parfumée. »

C’est lui aussi qui, au cours de leurs fréquentes rencontres, ayant entendu Paul Neuhuys lui raconter ses souvenirs, l’avait convaincu d’écrire ses Mémoires. Le poète lui en ayant adressé les premières pages, une trentaine, il lui répond le 26 mai 1958, combien il les trouve attachantes par leur sincérité, et il l’écrira dans un article qui parut en 1959 dans la revue Synthèses : La Sincérité voluptueuse du poète, Paul Neuhuys.

 Fin 1958 le manuscrit des Mémoires était achevé sous le titre Ça ira, ç’a été. Imperiali en parla à Armand Henneuse, l’éditeur lyonnais “qui s’est montré très intéressé”, écrivit-il à Paul Neuhuys. Elles ne furent finalement publiés que quelques décennies plus tard comme partie d’un ouvrage plus vaste composé par Luc et Thierry Neuhuys durant les dernières semaines de la vie de leur père, et avec son assistance. Imperiali en fit la préface et lui trouva un nouveau titre : Mémoires à Dada (Bruxelles, Le Cri, 1996)

En 1958 également, Imperiali achevait son roman Les Cheveux blonds dans lequel il mettait un espoir énorme ; il ne cachait pas ses grandes ambitions : « Quand le destin parle si haut au dedans de vous, est-il possible de douter de lui ? » écrivait-il le 2 octobre 1957.

Franz Hellens proposa le manuscrit à deux éditeurs parisiens auprès desquels il était bien introduit. Mais Albin Michel et Denoël le refusèrent, ce qui fut un coup très dur pour le jeune auteur.

En 1963, une deuxième nouvelle, les Châtaigneraies de Bocognano, parut chez Julliard dans un des “Rendez-vous donné par Françoise Mallet-Joris à quelques jeunes écrivains”.

Imperiali publia encore trois ouvrages à compte d’auteur, particulièrement soignés : L’Essence de la noblesse / Réflexions sur la noblesse de l’âme et sur la noblesse tout court (s.d. - 1971 ?) Floraire ou les herbes de l’oubli (1975) et La Chose (1976).

Dans chacun des trois figure, outre des nouvelles, des essais et des aphorismes, une analyse perspicace d’un auteur qu’il aimait : Alexandre Dumas dans L’Essence de la noblesse, Jack Kerouac dans Floraire et Vitaliano Brancati dans La Chose.

Il fut fier de son nom, de la lignée dont il était issu, qui comptait des doges, des amiraux, un cardinal. Il en faisait état en paroles et en écrits.

C’est dans L’Essence de la noblesse qu’il explique peut-être le mieux ce vers quoi il aspire :

« Je ne me pique guère de philosophie et n’y connais rien. Mon domaine à moi est le domaine de l’âme sensible. […] ce petit livre est composé comme au XVIIIème, pour les amies et amis uniquement. Qu’ils sachent combien je les aime. L’âme noble de mes ancêtres s’élève parmi eux comme le Leviathan au milieu d’un champ de bataille, et dans la fumée je les aperçois et mon âme s’élance vers eux, et avec l’âme, le corps plein de feu pour tout ce qui est noble, vrai, humain, doux, juste, sensible. Cela justifie une certaine idée que l’on se fait de la mort. Du moins l’idée que je m’en fais les matins de tendresse. »

Dans « Un chômeur », le premier récit de La Chose, il écrit :

 « C’était un pauvre vieux. Je l’avais immédiatement remarqué parce qu’à moi, les vieilles gens, qu’ont un visage intéressant et que personne ne regarde, ça me remue jusqu’au tréfonds de l’âme. Façon de s’exprimer, faut voir si ça existe, ce truc qu’on nomme l’âme. »

« Vous avez du talent, lui avait écrit Franz Hellens vingt ans plus tôt, une faculté, un don de pénétrer l’âme même de la matière […] C’est cette vérité directe, sans efforts, quoique violente, qui me frappe dans l’expression de votre style. »

En 1961 il faisait dire à son héros dans Les Filles à boire :

« Oui, je crois que je continuerai à gueuler du fond de mon désert comme un Saint Jean de la Croix. C’est ça qui me console. Dois me persuader de cette vérité : plus on avance, plus on creuse une mort solitaire. Pas plus mal après tout. Un écrivain, c’est un type qui écrit avec sa vie, voilà à quoi on reconnaît un écrivain. »

Guy Imperiali, né à Bruxelles le 12 septembre 1934, y est décédé le 3 août 2004.

Henri-Floris JESPERS

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