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4 juillet 2014 5 04 /07 /juillet /2014 20:31

 

joostens.jpgPaul Joostens (1889-1960)

 

Avec les romantiques ont passé les idéalistes pauvres. Moi, je hais la pauvreté. Je veux que l'artiste se ressente du sang chaud dans les veines et qu'il donne du trop plein. Il ne suffit pas de manger à sa faim. C'est le surplus de la vie qui importe. De peur de diminuer la force vivante qui fait l'œuvre d'art, je me défends toute amativité, toute parole, tout rayonnement, je m'efforce constamment à la concentration. Je reproche aux beaux parleurs-peintres, d'appauvrir l'œuvre d'art. Avant tout 'soyez riches' c.-à-d. ayez la qualité.

J'ai l'idée de création et de destruction. Révolutionnaire n'est pas seulement celui qui hurle pour les autres, mais surtout celui qui détruit en lui-même les attaches du passé-mort. Ainsi je prends conscience des valeurs de la réalité. Ceux d'aujourd'hui ne se reconnaissent que dans l'image du passé. On a parlé d'un art chiffré, de l'époque des catacombes, des hiéroglyphes. Ce n'est rien de tout cela. Il ne s'agit pas de 'réussir' quelque motif usé ou de le représenter d'une façon autre.

Il faut l'audace de la sensation. Et puis le marchand de tableaux est désappointé parce qu'il n'en a pas pour son argent. Surtout donnez lui de la couleur travaillée. Or je veux le minimum de matière. Plus de couleurs mais des reflets, un minimum d'effort manuel et un maximum de qualité. Une transposition qualitative des valeurs n'est pas une solution. Certains s'appliquent à peser et mesurer les objets. Pour ceux là le tableau est à base scientifique. Ils s'évertuent à découvrir les lois régissant les corps invertes. L'art n'est pas de la science mais de la sensation.

Richesse individuelle, première vertu.

J'ai rêvé d'un art dont la cérébralité servirait de repoussoir au sensualisme. Faire un tout qui est la vie. Il est des intentions sur lesquelles personne n'a le droit de nous questionner. Secret individuel et subconscient. Une femme, la femme, mes sensations, moi, et quoi vous osez me demander, vous avez l'audace de violer l'esprit? D'où ce besoin du pourquoi et du comment? Qu'as tu besoin de connaître la raison? Vas t'en et retourne à tes vieux maîtres.

Regarde, donne toi la peine. Voici ce que nous avons reçu, voici ce que nous avons à dire; ensuite interroge toi, scrute donc les racines de ta chair, éclaire ton intelligence et puis l'art n'est pas une science, c'est de la sensation.

Je sais pour moi-même; que m'importent les cerveaux creux et les fainéants héréditaires! Supposons que je t'ai expliqué ce que chaque trait, chaque forme, chaque couleur signifie, à quoi cela te servirait-il? Regarde, la ligne et la couleur parlent. Que tes yeux s'efforcent de découvrir le rythme comme l'oreille écoute la musique. Les manuels de théories cubistes se vendent chez tous les libraires.

Paul JOOSTENS


(Sélection, no 2, 15 septembre 1920. L'article – reproduit tel quel – est suivi du dessin “Le révolutionnaire”.)

JoostensLe-revolutionnaire.jpg

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