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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 11:00

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Maurice Maeterlinck appartenait à la vieille bourgeoisie gantoise imbue d’une certaine forme de rhétorique, celle des ducs à l’époque du grand Georges lorsqu’il écrivait son Rythme pour le trépas du bon duc de Bourgogne, cette belle phrase à période qui s’est perpétuée de Bossuet à Romain Rolland — deux Bourguignons — et qui fera dire à Cendrars dans sa Prose du Transsibérien : « Le broun roun roun des roues me rappelle la phrase lourde de Maeterlinck. » Tout est lourd dans Maeterlinck, de cette pesanteur caractéristique : l’air y est lourd comme dans la ville au lourd donjon, la ville de l’Agneau mystique, œuvre de lourde érudition commandée par des théologiens.

Mais comment donc est née la poésie de Maeterlinck ? Un enfant pris de peur se réfugie dans les Serres chaudes et se plaira dans cette prison fiévreuse, symbole de notre mystérieuse condition. Maeterlinck ? Un taiseux. Ce que nous aimions en lui ? L’horticulteur, l’apiculteur, le mythiculteur.

Un témoignage intéressant est celui du peintre Jean-Jacques Gailliard qui fit visite à Maeterlinck du temps qu’il habitait l’abbaye de Saint-Wandrille en Normandie. Le peintre, tout jeune, s’attendait à découvrir un profil préraphaélite, et voici qu’il se trouvait devant une sorte de paysan en sabots, un personnage monolithique de Permeke comme on en rencontre entre Koelkapelle et Lapscheure, qui ne s’intéressait qu’à ses abeilles et à ses fleurs et qui, lorsqu’on abordait la question peinture ou musique, vous rembarrait d’un catégorique : « Ça m’emmerde… »

À vrai dire le Flamand n’a pas une tête philosophique, mais plutôt mystique. Aussi Maeterlinck deviendra-t-il le vulgarisateur des grands mystiques : Plotin, Ruysbroeck, Bœhm, Novalis, Swedenborg. Ce sont là les plus belles fleurs qui aient poussé dans les Serres chaudes du mysticisme.

Et ce sera bien la poésie des Serres chaudes, répandue sur son théâtre comme sur ses œuvres philosophiques, qui finalement fera l’insolite fortune matérielle de Maeterlinck.

La vérité scientifique importe moins que la vérité esthétique. Sagesse de ne jamais répondre à une interrogation que par une interrogation nouvelle. Poser le problème est plus intéressant que le résoudre. Concilier avec sérénité les brumes du nord et la limpidité méditerranéenne. Il aborde en précurseur les problèmes qui préoccupent le plus la pensée actuelle. Écoutons-le parler de notre destinée :

Notre homme visitera les planètes, s’allégera du poids de l’univers. Sachons que la féerie des mathématiques considère des rapports que ne considère aucune réalité dans le monde visible et que la quatrième dimension intervient sous le nom d’idéal dans notre subconscient. Géométrie et géologie nous permettent de palper certains points importants du grand mystère du monde… Mais où se trouve le temps réel ? Où se trouve la vraie vie ? Nous sommes peut-être au bord d’éblouissantes découvertes et il est fort possible que ce moment soit moins éloigné qu’on ne le croit…

L’univers s’imagine plus qu’il ne se raisonne

Saurons-nous si nous sommes son faîte ou sa couronne ?

 

Et sur la primauté de l’imagination, Maeterlinck écrit : « Il importe qu’elle se dise de plus en plus sérieusement que le monde commence à des milliards de lieues plus loin que les songes les plus ambitieux et les plus téméraires. »

Ce qui sauve toute l’œuvre de Maeterlinck, et malgré qu’il en ait, c’est que la poésie des Serres chaudes y demeure éparse et s’y prolonge. Il demeure le spéléologue de ces gouffres vierges qu’il appelle « beauté intérieure », « vie profonde », « bonté invisible »… Ah ! si Maeterlinck n’avait écrit que les Serres chaudes, il en serait demeuré comme un objet verbal, un aérolithe tombé d’une planète inconnue, l’œuvre qu’il désavouera par pudeur, la pudeur de l’enfant éperdu ! Il y a là une poésie où, bien avant le poème-conversation d’Apollinaire, rien n’est à sa place, où tout pourrait être autre : une folle devant ses juges, un navire de guerre sur le canal, des malades sur de la neige.

Aujourd’hui l’on s’acharne à vouloir briser le charme de Maeterlinck. L’œuvre n’est sans doute pas assez scientifique ? C’est une œuvre qui ne porte aucune date. Antonin Artaud ne s’y trompait pas qui écrivit une préface aux Douze Chansons : « Tout en étant presque aussi adorables que celles d’Elskamp, elles creusent à fond la spirale de l’intériorité et sont comme une suggestion d’absolu. »

Paul NEUHUYS

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