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30 août 2008 6 30 /08 /août /2008 08:06

Jozef Deleu est citoyen d'un pays-frontière: la Belgique, qui appartient au monde latin comme au monde germanique.

            Il vit à Rekkem, son bureau est littéralement à deux pas de la frontière entre la Flandre occidentale belge et la Flandre française.

            Il est l'éditeur de deux revues : Ons Erfdeel et Septentrion dont l'objectif est de faire connaître, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de leurs frontières, la culture des Pays-Bas dans leur acception la plus large : de Leeuwarden à Wissant (Witzand, tout près de Tardinghen et Hervelinghen).

            Il a écrit comment "vivre la frontière" dans un livre qui porte ce titre. Traduit du néerlandais en français par Marnix Vincent, il a paru en 1999 à Lausanne, en Suisse (un autre pays-frontière) aux éditions L'Âge d'homme dans la collection Au Cœur du monde.

            Six Chants de l'arrière-pays, un grand poème d'amour et de mort, et un Choix de poésies y sont précédés d'une courte introduction en prose : Citoyen de la frontière, dans laquelle l'auteur proclame qu'il est devenu frontière, qu'il se sent traversé  par elle, qu'il n'imagine pas que l'on puisse vivre sans elle.

Tout en nous racontant l'histoire de son père né à Lille et de ses grands-parents qui émigrèrent de France en Belgique, il nous montre, par touches successives, combien tout est ambigu à la frontière, les noms que l'on donne aux lieux d'abord, mais aussi la façon dont on la ressent : une protection rassurante ou une limitation insupportable? une clôture ou un moyen d'évasion? un mur de désespoir ou la possibilité de refaire sa vie ?…

            À la question de savoir comment il vit la frontière, Jozef Deleu nous répond par celle de savoir ce que c'est que de ne pas la vivre, de ne la connaître que par ouï-dire, de se croire fait d'une seule pièce, taillé dans un même bois.

            Rares lui semblent être ceux qui ne sont pas taillés sur ce modèle courant, qui ne préfèrent pas ignorer les frontières, qui n'aimeraient pas les effacer…

            Peut-être pas si rares que ça, quand même, dans notre pays. Vivre la frontière nous rappelle ce que Paul Neuhuys écrivait à Michel de Ghelderode le 27 juillet 1931 à propos d'un personnage du Club des mensonges : "Ton Saint-Georges (…) cet homme-frontière, empalé sur un poteau indicateur, ton Saint-Georges victime de deux cultures qui lui sont également distantes, ton Saint-Georges, c'est toi, c'est moi, dont chacun se plaît à bafouer la posture ridicule et cruelle…"

            Pour Jozef Deleu vivre à cheval sur une frontière et en être conscient jour après jour est une source d'ins-piration. Il prône tour à tour la levée de toutes les frontières, comme son grand-père qui faisait fi de celle qui sépare ce qui est licite de ce qui ne l'est pas, pour qui la vie devait être une fête libre de toute limitation… et d'autre part, leur maintien, parce que, sans elles, il n'y aurait plus aucun ailleurs, plus d'échappatoire à la tyrannie, plus de diversité surtout, plus de différences.

            Maintenir les frontières ne veut pas dire qu'il faut s'y enfermer. Elles ne doivent exister que pour être défiées, que pour être franchies, que pour donner à chacun l'occasion, la liberté de s'ouvrir à la diversité, de se soumettre au charme des différences

            On aurait donc tort de croire que le pays idéal est sans frontière. Ce serait au contraire le véritable enfermement, irrémédiable, sans plus aucun rempart contre le nivellement, contre la paupérisation spirituelle, la déshumanisation croissante de notre temps, la réduction de l'homme à l'état d'objet démontable, interchangeable et surtout manipulable.

           Celui qui n'aborde les choses que par un seul biais n'arrivera jamais bien loin”, pensait Pascal.

            D'Héraclite il nous reste : “Embrassements, touts et non-touts, accordé et désaccordé, consonant et dissonant, et de toutes choses l'Un et de l'Un toutes choses.

            Jozef Deleu conclut : « La signification des frontières est pratiquement inépuisable, leurs charmes sont innombra-bles. À une époque où l'apparence triomphe et où il faut du courage pour donner encore un sens à quoi que ce soit, il n'est pas sans importance qu'il existe des personnes qui aiment les frontières, qui parlent avec un ravissement presqu'enfantin de leur appartenance à une communauté tout en étant remplies d'étonnement et de respect devant l'éventail de la diversité. »

Thierry NEUHUYS

(Extrait du Bulletin de la Fondation ça ira, no 5, 1er trimestre 2001.)

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