“Attention ! Ne déplacez rien.” Le grand ordre caché du désordre apparent : partout, sur toute surface plane disponible (c’est-à-dire qui ne l’est plus), empilés et répartis, feuillets dactylographiés enluminés de repentirs, fragments de photocopies retouchées, fiches, petits papiers de toutes sortes et de tous formats, épreuves adornées de signes de correction, ces insectes qui mordent la marge de la page et qui sont à la composition, mais d’une manière plus clinique et définitive, ce que biffures, ratures et surcharges sont au manuscrit... Nous voilà bel et bien dans la cuisine de l’obsédé de précision, dans la boutique du brocanteur. Étal et étalage de l’homme fait de lettres. André Blavier prépare la réédition des Fous littéraires, livre-culte quasi mythique.
Notre première rencontre avait eu lieu aux Biennales de la Poésie en 1964, où il m’avait interpellé, après une intervention que j’avais consacrée à rose mon chameau, livre-collage du poète et cinéaste Patrick Conrad. Blavier, esprit curieux, dans tous les sens du terme, m’interrogea longuement sur l’évolution de la poésie expérimentale de langue néerlandaise.

Nous ne sommes pas programmés pour le hasard, ni même d’ailleurs pour la nécessité: trente-cinq ans plus tard, notre ultime entrevue à Verviers, programmée et même intéressée celle-là, fut en effet placée sous le signe de Paul Neuhuys, à qui Conrad avait rendu hommage en 1984 dans un émouvant documentaire télévisé. Ce fut alors que Blavier mit généreusement à la disposition de la Fondation Ça ira un jeu de photoco pies des lettres qu’il avait reçues de Paul Neuhuys.
Blavier, estafette exemplaire de cette Belgique sauvage que Phantomas célébra dans son numéro 100-101, fut pour Neuhuys, casanier, timide et effacé, un point d’ancrage vital et essentiel. Toujours “extrêmement attiré par les extrêmes”, Neuhuys soulignera que Blavier “voit l’authenticité de la poésie dans une permanente dérision, un sarcasme, un humour, un parti pris de ne pas se prendre au sérieux.”
Henri-Floris JESPERS