Le Bulletin ça ira: historiographie de la revue d'avant-garde du même nom (1920-1923) et des éditions (Michaux, Pansaers e.a.)
Germoz souligne que sa sensibilité littéraire a été éveillée par E. A. Poe — « en anglais pour les poèmes, en français, dans la traduction de Baudelaire, pour la prose » — suivi pour des raisons très différentes par Jean Cocteau, Henry de Montherlant, Pierre Mac Orlan, Marcel Aymé, André Gide, Multatuli, Omar Khayyam, Rainer Maria Rilke et Robert Louis Stevenson.
Sous l’Occupation, Maurice Gilliams lui révèlera les poètes néerlandais Leopold, Adriaan Roland-Holst, Bertus Aafjes, Weremeus Buning « et des aspects moins connus de Karel van de Woestijne ». Correspondant de New York pour plusieurs revues en 1945-1946, il découvre non seulement Emily Dicksinson, Ambrose Bierce et Frederic Prokosch, mais également la danse moderne. Il écrira des arguments de ballets, dont L’Enlèvement de Proserpine (1948).[1]
L’importance de la littérature anglo-saxonne ne saurait être surestimée, surtout Henry James et Williams Faulkner. Dans la foulée, Germoz constate qu’il serait plus révélateur de citer quelques livres plutôt que des auteurs : Pèlerinage aux sources de Lanza del Vasto (1943) — tout en soulignant avec force son désintérêt total pour les autres livres du gourou. Idem d’ailleurs pour Sparkenbroke de Charles Morgan[2] et La Mousson de Louis Bromfield[3].
De ce brassage, Shakespeare sortira en tête, une fois pour toutes.
Résistant sous l’Occupation allemande, Frans Buyens crée en 1950, dans une cave au centre d’Anvers, un « haut lieu de libération culturelle baptisé “Pompéi” »,
une sorte de centre culturel avant la lettre, avant que lesdits centres ne proliférassent. Conférences, théâtre, cinéma, expositions et d’autres activités y attirèrent le gratin d’une ville qui se réveillait.[4]
C’est là que Germoz fera la connaissance de Frans Buyens, « l’indomptable », qui « tenait du radar et du périscope ». Rencontre décisive. Germoz se sent revigoré au contact de cet artiste intègre, « personnage hors du commun, plein d’idées et d’ardeur qu’il mit au service d’un engagement social et d’un humanisme sans faille » [5], animé par l’esprit du refus, de l’indignation et de la contestation et dont l’œuvre aussi prolifique que diverse constitue un acte d’accusation permanent contre les forces de désintégration.
C’est vers la même époque que les contacts de Germoz avec Paul Joostens se resserrèrent et que s’établit entre eux une remarquable correspondance. [6]
Le beau rêve de « Pompéi » prit fin en 1952,
grâce à une espèce impitoyable qui sévit dans la promotion immobilière. [...] Rien de tel qu’un revers de fortune pour faire rebondir Frans Buyens ailleurs. Il fonde un théâtre, “De Koperen Haan”.
Ce sera De Koperen Haan (Le Coq de Cuivre) qui montera en 1954 Le Transfuge de Germoz — en néerlandais (Transfuga). Avant d’être créée à Bruxelles au Théâtre d’Essai et reprise par l’Étrave au Théâtre de l’Alliance française à Paris en 1960, Les Résidus, pièce traitant de ce
que l’on appelait alors les « personnes déplacées » (et qui n’a donc rien perdu de son actualité...), est jouée en néerlandais en 1958 par le Koninklijke Nederlandse Schouwburg/ Nationaal Toneel, sous le titre Gisteren was er toekomst.
En réaction aux Résidus, Germoz écrit un acte parodique et burlesque, Les Guillemets, qui sera publié en 1962 dans Les Soirées d’Anvers [7], où paraît également sa traduction de la pièce Vertikaal[8] de Tone Brulin, « rêveur engagé, parce qu’il se laisse sensibiliser par des situations de notre temps ».
La compagnie Toneel Vandaag créera en 1964 De vijfde muur au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, pièce de Germoz traduite par Marc Galle et solidement défendue par deux acteurs de grand talent, Robert van der Veken et Rudi van Vlaenderen, campant respectivement le ministre et le voleur qui se retrouvent en prison.
Pièce noire, si l’on veut, mais qui réjouira par ses qualités, son audace articulée et sa rigueur sans concession. Pièce, à notre sens, supérieure aux Résidus et qui marque un progrès très sensible dans le sens du dépouillement et de l’acuité de la pensée.[9]
Constatant que Le cinquième mur n’a pas été créé en français, Germoz confie au Courrier d’Anvers :
Cela peut sembler singulier, mais j’intéresse d’abord des gens de théâtre flamands. Ne croyez pas que je m’en plaigne. L’important est d’être compris et bien défendu. Ce fut le cas.[10]
Curieusement, avec une distance de trois décennies, le dramaturge connaît le sort de Michel de Ghelderode qui, lui aussi, vit ses premières pièces créées en traduction néerlandaise.
Germoz débute dans le journalisme en 1944, peu après la Libération, sous les bombes volantes. Il travaillera aux quotidiens anversois Le Matin et La Métropole et aux hebdomadaires bruxellois Spécial et Pourquoi Pas ? Fin des années soixante, il décide de ne plus se manifester, ni par l’édition ni par le spectacle, tant que « la parenthèse » journalistique n’est pas refermée. Pendant vingt ans, il ne publiera rien... si ce n’est des centaines d’articles que sa modestie l’empêche de prendre en considération.
Henri-Floris JESPERS
[1] L'Enlèvement de Proserpine, Scénario : Alain Germoz, Musique : Renier van der Velden, Chorégraphie : Léa Daan, Décors & Costumes : May Néama. Anvers, Éditions Le Colibri, 1948. 125 exemplaires. Avec 4 lithographies coloriées de May Néama.
[2] Traduction française, 1938 ; édition originale : 1936.
[3] Traduction française, 1942, titre original : The Rain Came, 1937.
[4] Alain GERMOZ, Frans Buyens, l’indomptable, in Archipel, no 23, 2005, pp. 6-7.
[5] Alain GERMOZ, La littérature malgré tout (XXIII), in Archipel, no 23, Anvers, 2005, p. 5.
[6] Cf Henri-Floris JESPERS, Paul Joostens et l’Art Con-temporain, in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 13, 1er trimestre 2003, pp. 25-32 ; Paul Joostens : « Le chef-d’œuvre est né. Alleluia », in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 18, 2ème trimestre 2004, pp. 3-38.
[7] Alain GERMOZ, Les Guillemets, pièce en un acte, in Les Soirées d’Anvers, troisième cahier, Ça Ira, Anvers, mars 1962, pp. 21-35.
[8] Tone BRULIN, Verticale, in Les Soirées d’Anvers, septième cahier, Ça Ira, Anvers, septembre 1963, pp. 42-57.
[9] B. AUBUSSON [= Guy VAES], Aux Beaux-Arts de Bruxelles. Création en néerlandais de « Le cinquième mur » d’Alain Germoz, in La Métropole, 16 avril 1964, p. 5.
[10] M. F., Le cinquième mur d’Alain Germoz par “Toneel Vandaag”, in Le Courrier d’Anvers, 24.4.1964, p. 5.