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28 mars 2009 6 28 /03 /mars /2009 15:01

Robin de Salle et Henri-Floris Jespers ont soumis l'étude de Mélanie Alfano consacrée à La Lanterne sourde à une lecture critique (cf. le Bulletin 36, pp. 41-44 et les deux blogues du 3 janvier 2009).

Le Bulletin 37, qui paraîtra le 31 mars, publie sous la plume de René Fayt, une belle synthèse des activités de La Lanterne sourde (1921-1931).

Quant à Henri-Floris Jespers, il évoque entre autres Paul Van Ostaijen, qui fut directeur des Compagnons de la Lanterne sourde.

Nous vous offrons ce texte en avant-première.

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Le rôle de passeur qui fut celui de Paul van Ostaijen lors de son séjour à Bruxelles (octobre 1925- avril 1926) mérite un examen approfondi. Il y fréquentera le groupe proto-surréaliste et se liera d’amitié avec Marcel Lecomte (1900-1966). Le 29 octobre 1925, Marcel Lecomte assista à la conférence de Van Ostaijen sur « Le renouveau littéraire en Belgique » à La Lanterne Sourde. Tout comme Marc. Eemans, Lecomte se souviendra jusqu'à la fin de sa vie de l’effet de surprise produit par Van Ostaijen chantant ses poèmes.

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Durant l'été de 1925, Paul van Ostaijen avait été fort occupé par les préparatifs de son partenariat avec Geert van Bruaene (1891-1964), animateur d'une nouvelle galerie, La Vierge poupine, sise au numéro 70 de la rue de Namur à Bruxelles. Du 1er octobre 1925 au 1er avril 1926, il occupera la fonction de co-directeur de la galerie, qui se composait de trois pièces et d'un palier où des œuvres pouvaient être exposées sur des chevalets. En fait, Van Ostaijen travaillait en collaboration avec Van Bruaene, mais à son propre compte. Les affaires « ne sont pas florissantes », mais « on tient le coup tant bien que mal ». De son côté, « le petit Gérard » continue de mener de front ses activités au Cabinet Maldoror, où La Lanterne sourde présente du 14 au 29 novembre des peintres constructeurs: Marcel (-Louis) Baugniet (1896-1995), Pierre (-Louis) Flouquet (1900-1967), Jean-Jacques Gaillard (1890-1976), Jasinski (1901-1994), Victor Servranckx (1897-1968) et Maurice Xhrouet (1892-1992).

Les circonstances exactes qui mirent fin à la collaboration de Van Bruaene et Van Ostaijen ne sont pas élucidées. La livraison d’avril 1926 de Sélection annonce :

« La Vierge poupine » dont nous signalions la fermeture rue de Namur, 70, s’est réinstallée ailleurs : avenue Louise, 32. Elle sera donc la voisine du ‘Centaure’, qui va également s’établir à l’avenue Louise, au numéro 62. La nouvelle ‘Vierge poupine’ est dirigée par MM. Geert van Bruaene et Camille Goemans.


Le 6 mai 1926, Van Ostaijen annonce à son ami Fritz Stuckenberg qu’il n’est plus « directeur » depuis le 1er avril. Il a abandonné le commerce d’art bruxellois. Comme auparavant, il mènera donc ses affaires « en chambre » selon la terminologie parisienne .

« Cela ne va pas bien, - trop bien pour aller vraiment au diable. Et trop mal pour en vivre. » À la fin de leur collaboration, Van Bruaene devait 1.500 francs à Van Ostaijen, montant qu’il règlera par trois chèques de 500 francs, échelonnés sur trois mois, adressés à l’avocat de son ancien associé.

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Van Ostaijen accepta la proposition de Pierre Bourgeois de se joindre à lui avec le poète René Verboom à la direction des « Compagnons de la Lanterne sourde »

L’architecte Victor Bourgeois et le poète Pierre Bourgeois, « couple inséparable du mouvement moderne », donnaient le ton à l’hebdomadaire 7 Arts, qui se voulait le porte-parole du mouvement constructiviste en Belgique. Pierre Bourgeois se profilait également en théoricien de l’architecture. La Cité Jardin de Berchem Sainte-Agathe illustre l'étroite collaboration des deux frères. À l'invitation de la revue Ça ira, Pierre Bourgeois avait donné le 3 mars 1923 une conférence sur l' « Architecture moderne » à Anvers.

Un collectionneur a eu l'amabilité de me fournir en 2006 la photocopie d'une lettre dactylographiée de Pierre Bourgeois à Van Ostaijen, datée du 15 septembre 1925. Il s'agit de la réponse à la missive de Van Ostaijen du 13 septembre – « dont le ton m'enchante quoique je fasse certaines réserves de détail »', scripsit Bourgeois.

En ce qui concerne l'ULB, Bourgeois assure à Van Ostaijen qu'il ne partage pas « l'admiration » de Paul Vanderborght. Il considère « cet organisme comme étant réactionnaire effroyablement à 90 % de sa composition ». Mais cela n'a pas d'importance:

L'essentiel est que les directeurs de la Lanterne sourde puissent collaborer loyalement, amicalement. Pourquoi exiger l'identité des conceptions? […] Nous sommes on le sait les enfants terribles de la gauche, enthousiasme et esprit subversif. Cette indépendance batailleuse crée un lien plus ferme que l'emboitement précis des doctrines.


Bourgeois informe Van Ostaijen des incidents qu'il a eus à la Lanterne sourde:

Des conférenciers amis tels Auguste Vermeylen par exemple ont parlé des lettres flamandes dans un sens que je n'admets pas. Mais ce que je sais c'est que l'ensemble de la Lanterne sourde depuis 2 saisons constitue esthétiquement et socialement une force de poussée vers la gauche. Ce n'est pas – et nous ne voulons pas que cela soit – une association de combat artistique précise (telle que 7 Arts par exemple) c'est un groupe de ralliement des indépendants qui suit l'actualité dans l'intention de l'animer selon une cadence audacieuse.

En ce qui concerne le fait de « casser l'encensoir sur le nez des officiels » je le fais moins que quiconque.


Soucieux de dissiper les dernières réticences de Van Ostaijen, Bourgeois souligne que les quatre directeurs de la Lanterne sourde (il y inclut donc d'ores et déjà Van Ostaijen) ne sont pas liés par « un contrat », mais par « une tendance »:

Ils ne se ressemblent en rien sinon par l'orgueil artistique, un besoin de fraternité, la haine du poncif. Pourquoi aurions-nous des statuts? Qu'on nous juge à nos œuvres.

J'ai bien réfléchi: y a-t-il la moindre contradiction entre ces directives et votre lettre?

L'incorrigible jacobin peut compléter très bien la galerie des directeurs de la Lanterne sourde......


Et d'y ajouter en post-scriptum:

Paul Vanderborght a lu avec plaisir votre lettre. Il ne voit pas pourquoi votre acceptation ne serait pas définitive.


C'est René Verboom (qui avait avait collaboré à la revue Résurrection (1917-1918), dirigée par Clément Pansaers) qui eut l'idée d'ouvrir la saison 1925-1926 par la présentation des trois directeurs, le jeudi 29 octobre à la Maison des Étudiants, Palais d' Egmont. Au programme: « les poètes Bourgeois, Van Ostaijen, Verboom par eux-mêmes: à-propos techniques et lectures ». Une partie de la soirée serait un »hommage de la jeunesse universitaire et artistique au compositeur-pédagogue bruxellois Paul Gilson ». L'annonce était signée par les trois directeurs et, « pour le Comité estudiantin », par les étudiants R.Didisheim et P. Vermeylen. Bourgeois se souviendra que René Verboom s'était abstenu de paraître à la séance. « C'était son genre ».

Dans son édition du 1er novembre, 7 Arts publia un compte rendu de la soirée par Paul Werrie ainsi que l'allocution de Pierre Bourgeois ('Bavardages autour de la poésie'). La profession de foi de Van Ostaijen ('Le renouveau lyrique en Belgique')  parut dans l'édition du 15 novembre.

Pierre Bourgeois décrivit exactement les dernières semaines de Van Ostaijen à La Lanterne sourde:

Le 7 avril 1926 il m'écrit du 44, rue Albert, à Anvers, me demandant de le prévenir quand sa présence sera nécessaire à La Lanterne sourde. Le 18 du même mois, il me présente sa démission comme... membre du directoire. Une séance avait été organisée à son insu (Je suppose que le changement d'adresse en était la cause). Cette démission ne changeait pas la nature de nos relations. Il terminait sa lettre en me serrant la main: toutes nos divergences artistiques à part, je suis très heureux de pouvoir t'appeler mon camarade. Ce bonheur était réciproque.

Henri-Floris JESPERS

*

La conférence que Paul Neuhuys fit le 28 octobre 1929 à la tribune de La Lanterne sourde fera l'objet d'un prochain blogue.

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