Le Bulletin ça ira: historiographie de la revue d'avant-garde du même nom (1920-1923) et des éditions (Michaux, Pansaers e.a.)
Paul Neuhuys, Knokke, 1922
Mon urgent appel à l'aide de ce matin à propos de Marce Lecomte et de Paul van Ostaijen me remet en mémoire un passage des Mémoires à dada (Bruxelles, Le Cri, coll. Les Évadés de l'Oubli, 1996, p. 133-135) de Paul Neuhuys...
En 1913 exactement il y avait à Anvers, place Verte, une librairie adossée à la cathédrale : la librairie Ackermann. […] Ackermann était un Allemand, un beau et respectable vieillard à cheveux blancs et c'est lui qui me montra, avec une certaine ironie d'ailleurs, un livre qui venait de lui arriver, d'un assez grand format : Les Peintres cubistes de Guillaume Apollinaire […] C'est bien ce livre qui allait décider de la carrière de deux jeunes d'alors : Paul Van Ostayen, le poète et Floris Jespers, le peintre. Car ce qu'Apollinaire était alors pour Picasso, Van Ostayen devait le devenir pour Jespers.
Je ne les connaissais ni l'un ni l'autre à cette époque. Je ne devais les rencontrer que plus tard, en 1922-23. Jespers m'avait alors présenté son ami Van Ostayen à Knokke à l'heure des bains. Très cérémonieux, Van Ostayen avait l'air d'être en smoking dans son costume de bain et je me rappelle qu'au moment où nous nous serrions la main, une vague nous renversa tous les deux à la grande joie de Flor qui, de nous trois, savait certes le mieux nager. Je le recontrai encore par la suite, toujours chez Jespers.
Paul van Ostaijen, Berlin, 1919
Il y a quelques années, je me suis amusé à imaginer un dialogue entre les deux Paul.
Paul van Ostaijen : Si donc voulant lire des poèmes — et évidemment vous les lirez à haute voix, puisqu’il s’agit de sons et de sonorités — vous vous êtes mis à en composer et si même cet exercice est, supposons-le, resté sans résultat positif, vous en emporterez cependant cette connaissance-ci que les poèmes les plus difficiles sont ceux que tout le monde pourrait faire. On réussit assez rarement une poésie comme celle d’Apollinaire qui
commence par : « Toc toc Il a fermé sa porte… » Il n’y a qu’une chose qui soit difficile en poésie : trouver et garder l’équilibre dans le facile.
Paul Neuhuys : La poésie n’est pour moi qu’une faculté d’émerveillement.
PvO — Émerveillement : je m’étonne de mon pouvoir de suivre, par mon utilisation du mot, les phénomènes dans leurs valeurs les plus imperceptibles à la seule intelligence.
PN — La poésie a toujours échappé à la sagacité des critiques comme l’étincelle vivificatrice échappe à l’investigation des cliniciens.
PvO — Par l’émerveillement devant le mot je sauve au cours de son extériorisation mon émerveillement devant le phénomène.
PN — La poésie n’est qu’une combinaison de mots qui se font valoir. La poésie ne sonne jamais faux, si l’on sait mettre l’accent où il faut.
PvO — Il y a deux tendances poétiques : la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite.
PN — Le « know how » de la poésie. Savoir comment ça se fabrique.
PvO — Le vrai poète est un monsieur qui écrit lui-même des poésies à sa mesure. Il joue à la fois au client et au tailleur, étant tailleur précisément parce qu’il est également client.
PN — Lorsqu’on me disait d’un poète qu’il avait pris conscience de la gravité de son art, je savais d’avance que je le trouverais un peu rasoir.
Dialogue fictif? Oui, certes, mais non point imaginaire : je cite fidèlement et littéralement les deux poètes...
Henri-Floris JESPERS