Annonçant en 1953 des représentations cinématographiques à l'Agneau moustique (« limitée à dix présences »), Gérard Van Bruaene renoue avec ses activités des roaring twenties (ses années de gloire...). Un placard publicitaire dans l’unique numéro d’Œsophage (mars 1925), la revue d’ E. L. T. Mesens, signale parmi les multiples activités du « petit Gérard » la
SALLE NOUVELLE
Tous les samedis à 8 h. 30 du soir.
La Dixième Symphonie de A. Gance a été projetée.
On projettera le 7 mars Le Lys brisé de D.-W. Griffith.
Optimiste, enthousiaste et toujours enclin (et matériellement obligé) de faire flèche de tout bois, Gérard van Bruaene avait en effet lancé l’une des premières tentatives de « ciné-club » en Belgique.
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Les « séances cinématographiques du Cabinet Maldoror » se tenaient une fois par semaine semaine le samedi soir, à huit heures et demie à la « Salle Nouvelle », 11 rue Ernest Allard, au Grand Sablon. Du 14 février au 14 mars 1925, une première série de cinq films est annoncée, chacune débutant par une courte causerie introduisant la projection ; le prix de l’abonnement était fixé à 25 francs. À tout seigneur tout honneur, le premier film sera Genuine de Robert Wiene (1881-1938), cinéaste de ce Caligari (Das Kabinett des Doktor Caligari, 1919), film fondateur de l’expressionnisme, dont Genuine (1920) est un dérivé. Seront ensuite à l’honneur : La Xesymphonie (1918) d’Abel Gance (1889-1981), Le lys brisé (Broken Blossoms, 1919) de D. W. Griffith (1875-1948), El Dorado (1921) de Marcel Lherbier (1890-1979) et Kean (1922) de Victor Tourjansky (1891-1976).
Marcel Mariën souligne que les films étaient choisis et patronnés par le groupe proto-surréaliste éditant la revue Correspondance ; que Van Bruaene en assurait la projection, mais qu’une organisation déficiente mena rapidement cette initiative à la déconfiture.
Par un tract daté du 30 mars 1925, Camille Goemans, Marcel Lecomte et Paul Nougé « tirent élégamment leur épingle du jeu » :
Depuis que le cinéma Maldoror à la Salle Nouvelle a commencé ses séances, on n’a assisté qu’à des représentations malheureuses.
Ainsi, pour avoir voulu entreprendre quelque chose on apprend ce qu’il peut coûter de faire confiance à des exécutants, on apprend la sorte de difficulté que l’on peut rencontrer, de quelle absurdité il arrive qu’elle soit faite. [...]
Pourtant, du ridicule, nous n’aurons pas à nous défendre. Il est à d’autres. Les faiblesses, les négligences ne nous concernent point. [...]
Bruaene évoquera ces séances dans Ole com bove (Le Livre d'or de la Fleur en papier dorée,1951) :
Le souvenir des séances cinématographiques du Cabinet Maldoror.
Il arrive de recourir au « don de la parole » pour se distraire du cauchemar, le jour et la nuit.
L’Image vivante de la pensée pouvait ne pas décevoir les plus tristes parmi nous, sans même déplaire brutalement au Silence, notre amour.
Pourrait-on, après le viol, ne pas accentuer la blessure ?
L’intelligence du cinéma réserverait au sens de la parole une évidence utile, logique, sans prétention autre que de servir l’essentiel : la vie de l’image.
Que de joie cependant !
L’atmosphère obscure demeure dans la Maison Somptueuse de la Projection Cinématographique.
Ce texte figure assurément dans l'édition originale du Livre d'or, qui pose à tous les bibliographes consciencieux un véritable casse-tête chinois.
Je m'appliquerai à démêler cet écheveau.
Henri-Floris JESPERS