Le nouveau recueil d’Alain Germoz (°1920) constitue un hommage à son ami Fernand Cuvelier (1926-2001), auteur de l’ Histoire du livre : voie royale de l’esprit humain (Monaco, édition du Rocher, 1982, 302 p.), une méditation originale et une somme technique sur les beautés du livre. En 1996, Fernand Cuvelier publiait un recueil de courts poèmes intitulé La chose et son contraire, particulièrement apprécié par son ami Wojciech Skalmowski, l’éminent slaviste de la KUL décédé le 17 juillet 2008.
La même année 1996, Alain Germoz compose une série de brefs poèmes « dans un esprit analogue évident » : Le contraire de la chose.
« Toutefois, si la piste est identique, le cheminement l’est moins. Malgré l’admiration qui l’a motivé, le second texte procède d’un esprit de dérision dont le caractère jubilatoire, railleur, voire sarcastique, est une façon d’honorer chez Fernand Cuvelier ce qui relevait d’un non-conformisme parfois délirant dans nos discussions et devait forcément se traduire par des élans poétiques différents. Nous n’avions pas à être d’accord sur tout pour nous supporter et de nos désaccords mêmes sont nées des affinités électives dont le présent recueil, Le contraire de la chose, est l’hommage contradictoire que Fernand Cuvelier n’a jamais pu lire, le manuscrit égaré n’ayant été retrouvé que plus d’un an après sa mort. Nos contradictions s’y retrouvent, le combat verbal qui fut notre plaisir se poursuit. Sans doute aurait-il aimé qu’il en soit ainsi – que la mort ne supprime pas l’allégresse. »
En guise de conclusion de son recueil, Alain Germoz déclare :
Je suis l’un multiplié
L’un par l’autre
L’un d’eux trois
Trois fois l’autre
Subdivisé subjugué subséquent
Non tangent mais consubstantiel
L’un dans l’autre
*
‘Le moi composé’, telle est la définition dépréciative que donne Germoz de l’autobiographie dans Le Carré de l’Hypoténuse (1988). Son œuvre est toutefois simultanéité et succession du ‘moi composé‘ –mais au pluriel.
Germoz est en effet l’auteur (le facteur dirait Bachelard) de textes qui semblent courts, mais dont les ramifications multiples et diversifiées méritent largement cette approche attentive et consciencieuse qui leur a trop souvent été déniée. C’est que son œuvre participe d’une volonté d’effacement et de dépersonnalisation.
Je suis
Une éventualité
De dur labeur
Sur les chemins interminables
D’une infinie paresse
Je suis
Une illusion
Qui prend corps
Avec l’âge
Je suis
Cornegidouille
Le petit bout de bois
Pour merdre
Dans les oreilles
Je suis
Plus imparfait que le subjonctif
Et je chavire volontiers
Entre deux mots à conjurer
Je suis
De tous les temps
Et d’une médiévale fureur
Contre une Mère Eglise
Qui persécuta les chats
Je suis
Un grand avocat d’Assises
Dont le talent résonne
Dans un pieux silence
Entre les murs de sa chambre
*
Le Contraire de la Chose est clôturé par une série de « scromphales ». Nés à l’improviste de l’ennui d’une communication téléphonique désespérément longue, ces personnages qui se prennent parfois pour une lettre, voire pour tout un alphabet, font leur apparition dans L’ombre et le masque (2002) et réapparaissent en couverture de La sandale d’Empédocle (2007).
« Ces petits personnages ont un caractère incontestable. C’est la spontanéité de leur naissance, leur besoin organique d’exister sans qu’il y ait à discerner une raison ou un objectif autre que la volonté d’être un peu plus que le frémissement du trait dont ils sont issus. S’ils avaient du volume, on pourrait les croire sortis de la glèbe et se cherchant une forme proche de l’humain, parfois de l’animal ou du végétal, tentative inaboutie qui n’exclut pas les sentiments. »
Alain GERMOZ, Le Contraire de la Chose, Anvers, Archipel édition, 2008, 89 p., 12 €. ISBN 978-90-807631-2-8.
Repères :
Henri-Floris JESPERS, Alain Germoz : Aujourd’hui, le riz condé a un goût âcre, in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 29, pp. 13-35. Voir sur ce blog la rubrique bibliographie.
Sur ce blog : les communications du 20 et 21 avril 2008.