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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 19:43

Le rôle de passeur qui fut celui de Paul van Ostaijen lors de son séjour à Bruxelles (octobre 1925 - avril 1926) mérite un examen approfondi. Co-directeur, avec Gérard Van Bruaene, de la galerie La Vierge poupine, il fréquentera le groupe proto-surréaliste et se liera d’amitié avec Marcel Lecomte (1900-1966).


Kopie-van-VanOstaijen.jpg

Paul van Ostaijen évoqué par Jan Scheirs


Van Ostaijen accepta une proposition de Pierre Bourgeois de l'assister avec le poète René Verboom à la direction des « Compagnons de la Lanterne sourde ».

L’architecte Victor Bourgeois et le poète Pierre Bourgeois, « couple inséparable du mouvement moderne », donnaient le ton à l’hebdomadaire 7 Arts,qui se voulait le porte-parole du mouvement constructiviste en Belgique. Pierre Bourgeois se profilait également en théoricien de l’architecture. La Cité Jardin de Berchem Sainte-Agathe illustre l'étroite collaboration des deux frères. À l'invitation de la revue Ça ira, Pierre Bourgeois avait donné le 3 mars 1923 une conférence sur l' « Architecture moderne » à Anvers. 

Le 15 septembre 1925, Pierre Bourgeois adresse une lettre dactylographiée à Van Ostaijen, dans laquelle il assure ne pas partager l' « admiration » de Paul Vanderborght pour l'Université Libre de Bruxelles. Bourgeois considère « cet organisme comme étant réactionnaire effroyablement à 90 % de sa composition ».

Mais cela n'a pas d'importance.

L'essentiel est que les directeurs de la Lanterne sourde puissent collaborer loyalement, amicalement. Pourquoi exiger l'identité des conceptions? […] Nous sommes on le sait les enfants terribles de la gauche, enthousiasme et esprit subversif. Cette indépendance batailleuse crée un lien plus ferme que l'emboîtement précis des doctrines.

Bourgeois assure Van Ostaijen avoir eu des incidents avec des personnalités qui se sont produites à la Lanterne sourde.

Des conférenciers amis tels Auguste Vermeylen par exemple ont parlé des lettres flamandes dans un sens que je n'admets pas. Mais ce que je sais c'est que l'ensemble de la Lanterne sourde depuis 2 saisons constitue esthétiquement et socialement une force de pousséevers la gauche. Ce n'est pas – et nous ne voulons pas que cela soit – une association de combat artistique précise (telle que 7 Arts par exemple) c'est un groupe de ralliement des indépendants qui suit l'actualité dans l'intention de l'animer selon une cadence audacieuse.

En ce qui concerne le fait de « casser l'encensoir sur le nez des officiels » je le fais moins que quiconque.

Soucieux de dissiper les dernières réticences de Van Ostaijen, Bourgeois souligne que les directeurs de la Lanterne sourde ne sont pas liés par « un contrat », mais par « une tendance ».

Ils ne se ressemblent en rien sinon par l'orgueil artistique, un besoin de fraternité, la haine du poncif. Pourquoi aurions-nous des statuts? Qu'on nous juge à nos œuvres.

J'ai bien réfléchi: y a-t-il le moindre contradiction entre ces directives et votre lettre?

L'incorrigible jacobin peut compléter très bien la galerie des directeurs de la Lanterne sourde......

Et d'y ajouter en post-scriptum que Paul Vanderborght ne voit pas pourquoi l'acceptation de Van Ostaijen ne serai pas définitive.

*

C'est René Verboom, qui avait avait collaboré à la revue Résurrection  (1917-1918), dirigée par Clément Pansaers, qui eut l'idée d'ouvrir la saison 1925-1926 par la présentation des trois directeurs, le jeudi 29 octobre à la Maison des Étudiants, Palais d' Egmont. Au programme: « les poètes Bourgeois, Van Ostaijen, Verboom par eux-mêmes: à-propos techniques et lectures ». Une partie de la soirée serait un « hommage de la jeunesse universitaire et artistique au compositeur-pédagogue bruxellois Paul Gilson ». L'annonce était signée par les trois directeurs et, « pour le Comité estudiantin », par les étudiants R. Didisheim en P. Vermeylen. Bourgeois se souviendra que René Verboom s'est abstenu de paraître à la séance. « C'était son genre ». Marcel Lecomte et Marc. Eemans se souviendront jusqu'à la fin de leur vie de l’effet de surprise produit par Van Ostaijen chantant ses poèmes.

Dans son édition du 1ernovembre, 7 Arts publia un compte-rendu de la soirée par Paul Werrie ainsi que l'allocution de Pierre Bourgeois (« Bavardages autour de la poésie »). La profession de foi de Van Ostaijen (« Le renouveau lyrique en Belgique »)  parut dans l'édition du 15 novembre.

*

Pierre Bourgeois situa exactement les dernières semaines de Van Ostaijen à La Lanterne sourde:

Le 7 avril 1926 il m'écrit du 44, rue Albert, à Anvers, me demandant de le prévenir quand sa présence sera nécessaire à La Lanterne sourde. Le 18 du même mois, il me présente sa démission comme... membre du directoire. Une séance avait été organisée à son insu (Je suppose que le changement d'adresse en était la cause). Cette démission ne changeait pas la nature de nos relations. Il terminait sa lettre en me serrant la main: toutes nos divergences artistiques à part, je suis très heureux de pouvoir t'appeler mon camarade. Ce bonheur était réciproque.

Henri-Floris JESPERS

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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 06:49

 

Neuhuys1922.jpg

Paul Neuhuys, 1922


Paul Neuhuys figure ave cinq poèmes dans l'anthologie de Paul Vanderborght des poètes belges d'esprit nouveau (1924), entre autres « Art poétique », paru dans Le Canari et la cerise(1922):

 

Écrire en vaut-il la peine

Des mots, des mots

Pourtant il ne faut pas dire: Hippocrène

je ne boirai plus de ton eau.

 

La poésie,

je la rencontre parfois à l’improviste

Elle est seule sous un saule

et recoud ma vie déchirée.

 

Écoute le son de la pluie dans les gouttières de zinc

Aime les formes brèves et les couleurs vives

Foin des natures mortes et des tableaux vivants

Fous-toi de la rime

Que la tour d’ivoire devienne une maison de verre

et se brise

 

Épitaphe:

 

Encor qu’il naquit malhabile

Il ne resta point immobile

Et disparut chez les Kabyles

D’un accident d’automobile.

 

Neuhuys reprendra ce thème à plusieurs reprises.

HFJ

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14 août 2011 7 14 /08 /août /2011 22:23

 

LanterneAntho.jpg

1924 ne voit pas seulement la parution de L'Année poétique belge, préfacée par la comtesse de Noailles, mais également celle de l'anthologie de « La Lanterne sourde », Poètes belges d'esprit nouveau.

La Lanterne sourdeétait une revue d’étudiants de l'Université Libre de Bruxelles, fondée en 1921 par Paul Vanderborght (1899-1971), qui connaîtra quatre numéros. À la fin de l’année 1922, le périodique fusionne avec Le Disque Vert, importante revue de l’avant-garde belge, animée par Franz Hellens. Les deux organes paraîtront jusqu'en janvier 1923 sous le titre Écrits du Nord.

L'Année poétique belge, préfacée par Anna de Noailles, regroupe 81 poètes. (Cf. le blogue du 8 août 2011.)Quant à Paul Vanderborght, il réunit 35 poètes d' « espritnouveau »:

...j'estime n'avoir pas point répété les anthologies belges qui naissent un peu partout : académiques, guerrières, neutres, neutres comme des voix de chapelle Sixtine.

J'ai groupé ici, occasionnellement, des collaborateurs, des indifférents, des adversaires ; ils n'ont pas, je l'assure, à se juger implicitement compromis par ma signature. Ce livre n'a que la valeur d'un document. Il aidera le public universitaire et les lettrés en général à juger un peu, d'après ces poèmes et ces proses poétiques publiés depuis l'armistice ou inédits encore, des poètes que M. De Bongnie, censeur pointilleux, voudra bien me permettre d'appeler « poètes d'esprit nouveau ».

*

Une première constatation s'impose : 19 poètes figurent dans les deux anthologies (Maurice Casteels, Leon Chenoy, Bob Claessens, Emile de Bongnie, Désiré-Joseph d'Orbaix, Paul Fierens, Herman Frenay-Cid, Robert Goffin, Herman Grégoire, Robert Guiette, Franz Hellens, Georges Linze, [Robert] Mélot du Dy, Paul Neuhuys, Jean Teugels, Henri Vandeputte, Lucia Van Dooren, Jules Vingternier et Robert Vivier), ce qui exprime un consensus quant à leur place dans les lettres « belges ». Pour les initiés, cette constatation n'est pas sans importance...

Témoignant de flair, Paul Vanderborght réunit 16 poètes d' « esprit nouveau » qui ne figurent pas dans l'anthologie de La Renaissance du Livre : Pierre Bourgeois, Eric de Hauleville, Paul Desmeth, Sébastien Dongrie, Camille Goemans, Raoul Grimard, Augustin Habaru, Roger Kervyn, Léon Kochnitzky, Marcel Lecomte, Odilon-Jean Périer, Charles Plisnier, René Purnal, Paul Vanderborght, J.J. Van Dooren et René Verboom.

Pierre Bourgeois participait à l'organisation des activités de La Lanterne sourde, dont il sera co-directeur avec Paul van Ostaijen et René Verboom.

Camille Goemans, Léon Kochnitzky et Odilon-Jean Périer, proches du cercle estudiantin, collaborèrent aux Écrits du Nord. Marcel Lecomte et Charles Plisnier avaient déjà tous les deux publié aux éditions Ça ira.

René Verboom avait fait ses débuts dans Résurrection, la revue de Carl Sternheim et Clément Pansaers, qui n'en déplaise à Larousse, n'avait rien de « dadaïste ».

*

Dans la livraison datée de juillet 1924 de La Bataille littéraire, Odilon-Jean Périer publia une note désinvolte à propos de l'anthologie composée par Paul Vanderborght :

Cette Anthologie a trouvé une sorte de justification: d' « Esprit Nouveau » affirme-t-elle. Cela ferait une unité? Mais il ne s'agit que d'un titre.

M.Verboom est un poète, et Frenay-Cid aussi (peut-être) mais – d'esprit nouveau ? Dans ce cas... Conrardy? Nothomb ? Et Giraud ? Si l'esprit nouveau est 'cela', avouez mon cher Vanderborght, que ce n'était pas la peine de changer!

Parlons un peu de ces poètes.

Pour la plupart ils ont une grande originalité: ils écrivent en prose. Je ne parle pas ici de M. Marcel Lecomte qui est poète, absolument, ni de mon cher et vieil ami Raoul Grimard, qui ne l'est pas du tout – mais qui écrit fort bien; – mais je pense à MM. J.J. Van Dooren, Linze, Pierre Bourgeois (pour ne citer que les plus plats); à Camille Goemans, qui écrit une prose du même aspect (bien qu'autrement intéressante!) et qui est métaphysicien.

Ne croyez pas que je demande à ces Messieurs de la Musique.

Mais enfin, il y a un ton, il y a une 'allure poétique' qui n'est pas celle de la prose. Je trouve assez décourageant de devoir redire de telles choses.

Périer affirme que Paul Desmeth est poète, Pierre Bourgeois non. Quelques-uns des auteurs repris dans l'anthologie

ne sont que poètes (c'est un éloge!) : Desmeth, Lecomte, Hellens (surtout dans de petits poèmes qu'on ne retrouve pas ici […]), Paul Neuhuys (quand il ne pense pas à ce qui se fait à Paris), Fierens (avant de rencontrer Jean Cocteau), Eric de Haulleville (quand il ne le fait pas exprès.)

Quelques poètes échappent à toutes classifications.

Ce ne sont pas les moins vivants: René Purnal, Robert Guiette, Vandeputte, D.-J. D'Orbaix.

 

En conclusion, Périer formule un lieu commun: l'anthologie n'est pas complète.

On peut ne pas aimer du tout M. Paul-Gustave Van Hecke, mais enfin il a de l'allure. Henri Michaux écrit en prose, mais il est beaucoup plus poète que la plupart des précédents.

Je signale ces omissions à Vanderborght, pour le cas où il préparerait une édition nouvelle de son Anthologie. – Peut-être est-ce son intention, car il a le goût du martyre.

Ce numéro de La Bataille littéraire (« dit de... juillet » 1924), le septième de la sixième année, sera le dernier.

*

Paul Neuhuys notera laconiquement dans ses mémoires:

Dans l’anthologie de la Lanterne sourdeoù nous figurions tous les trois, Bourgeois, Linze et moi, Bruxelles, Liège, Anvers se donnaient la main par-dessus nos dissensions régionales.

*

Mme Mélanie Alfamo a publié la première étude sur le groupe « La Lanterne sourde », surtout connu par la centaine de manifestations culturelles (concerts, expositions, conférences) auxquelles participèrent de grands noms comme James Ensor, Blaise Cendrars, Le Corbusier, Jules Romains, Stéphane Zweig.

Henri-Floris JESPERS


Mélanie ALFAMO, La Lanterne sourde 1921-1931. Une aventure culturelle internationale, Bruxelles, Éditions Racine, 2008, 183 pp.

À ce sujet, cf. les notes de lecture de Robin DE SALLE et de Henri-Floris JESPERS, parues dans le numéro 36 du Bulletin de la Fondation Ça ira, décembre 2008, pp. 41-43 et 43-44.

Voir également:

René FAYT, 'Paul Vanderborght et le mouvement La Lanterne sourde', in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 37, mars 2008, pp., 23-27.

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9 août 2011 2 09 /08 /août /2011 02:23

 

Lumiere.jpg

Alors que Paul Neuhuys (1897-1984) se déclarait extrêmement attiré par les extrêmes, Roger Avermaete (1893-1988) s'est toujours affirmé en adepte du juste milieu. L' Année Poétique Belge (1924) reprend un poème moderniste de Roger Avermaete, l'animateur de la revue Lumière(1919-1923, 40 numéros), qui ne s'est jamais reconnu comme poète.

Voici un large extrait de ce texte bien dans l'air du temps :

 

Les tuiles ont des ailes. Et aussi les chapeaux.

Les parapluies font du cerf-volant.

Les femmes se promènent en culotte, comme si le vent était leur amant.

 

Le vent fait le discobole avec les tuiles des toits.

Quelle joie !

Le vent fait une partie de boules avec les chapeaux.

Les boutiques jouent de la crécelle avec leurs enseignes.

Des toits soudain ouvrent la gueule des maisons. Quelques cheminées éperdues en sautent dans la rue.

Tout est à l'envers. Quelle joie !

 

Les gens marchent à reculons.

Un arbre du Jardin Botanique, rompant la règle séculaire, a traversé la rue. Il est entré chez le boulanger d'en face.

Heureux boulanger ! Heureux homme qui reçoit une visite inattendue !

*

Plusieurs fois couronné par l'Académie française, élu au fauteuil de Chirico à l'Institut de France, Avermaete s'est surtout distingué par ses travaux d'historien et de critique d'art.

HFJ

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8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 03:28

 

NeuhuysNoailles.jpg

L'Année Poétique Belge (Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1924) réunit plus de quatre-vingt poètes. La préface de la comtesse de Noailles est précédée d'une « note de l'éditeur » dans laquelle il souligne qu'il s'interdit a priori de prendre parti « entre les écoles ».

Nous étant arrêtés à ce parti, nous nous sommes entendus avec plusieurs écrivains, jugés représentatifs du mouvement poétique belge, ou signalés à ce mouvement par leur zèle à l'encourager de façon directe, et MM. Théo Fleischman, Herman Frenay-Cid, Willy Koninckx et Emile Lecomte, ont consenti à nous donner leur collaboration avec un dévouement et un désintéressement que nous ne pouvons trop louer. Ils ont recueilli presque toutes les adhésions utiles; puis, après un triage, aussi indispensable qu'il était délicat, des manuscrits qui leur furent envoyés, ils nous remirent le texte du présent volume. Il ne pouvait avoir passé par des mains plus expertes que les leurs.

Anna de Noailles, « la plus illustre poétesse du temps », souligne qu'il s'agit d'une anthologie « où de tout jeunes gens ont vu leur œuvres accueillies avec sagacité, parmi les strophes ou les versets de leurs aînés glorieux ». Il lui est impossible de reprocher aux « artisans adroits et délicieux » de L'Année poétique belge « de s'être évadés des nobles lois de la prosodie ».

Et je voudrais pouvoir répliquer que, pour ma part, le rythme et la rime me semblent indispensables ; qu'un poème naît en moi avec l'aisance même de ses rigueurs ; qu'un alexandrin à lui seul me fait pressentir dans sa beauté le frémissement du compagnon qui va le suivre ; que je voudrais qu'il y eût, toujours bien différents l'un de l'autre, le vers et la prose ; mais j'avoue que les pages poétiques des jeunes chanteurs belges me convertissent.

*

Une foultitude de poètes ? Certes. Et quant est-il de ces « adhésions utiles » qui ne purent être recueillies ; et du triage « indispensable et délicat »... ?

Quoi qu'il en soit, cette anthologie constitue une « tranche de vie », un document représentatif qui nous permet d'embrasser d'un coup d'œil le paysage poétique extrêmement varié en cette Belgique de l'an de grâce 1924. Oui, bien sûr, que de « noms illustres » tombés dans l'oubli, que de gloires éphémères effacées, que d'espérances déçues...!

Une leçon d'humilité et de relativité. Bien oubliés également, Wladislas Reymont, prix Nobel 1924, ou Thierry Sandre, prix Goncourt 1924...

*

Les auteurs du florilège n'ignorèrent point les poètes « modernistes » : Paul Neuhuys y figure, à côté de Léon Chenoy, de Robert Goffin et de Georges Linze.

Henri-Floris JESPERS

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6 août 2011 6 06 /08 /août /2011 01:56

En 1940, Anatole Bisque (1919-1998), Russe émigré en Belgique, fait ses études à l'Université Libre de Bruxelles. Il compose et préface une Anthologie de poèmes inédits de Belgique, qui paraît en mars (Pylone, Bruxelles). Paul Neuhuys y figure.


BosqueNeuhuys.jpg

Quarante ans plus tard, Anatole Bisque, devenu Alain Bosquet, compose et préface un florilège de poèmes de Neuhuys, Le pot-au-feu mongol, paru chez Pierre Belfond dans la collection « Lignes » dont tous les volumes furent choisis conjointement et unanimement par Alain Bosquet, Jean-Claude Renard (1922-2002) et Robert Sabatier (°1923). Bousquet affirme que ce livre est né de l'admiration éprouvée à la lecture du recueil Octavie (1977) de Neuhuys : « Dans le domaine de la nostalgie sous cape, qu'a-t-on écrit de plus poignant et de plus gifleur depuis Apollinaire ? »

Dans sa préface, Bosquet évoque ce qu'il estime la particularité de l'esprit dada en Belgique :

Il faudra dire un jour […] l'importance de l'action menée par Paul Neuhuys à la revue et aux éditions Ça Ira […]. C'est à cette époque, dans les trois ou quatre années qui suivirent la victoire de 18, que Paul Neuhuys contribue à donner à l'avant-garde de Belgique son goût et son parfum inimitable. L'un de ses chefs-d'œuvre, Le canari et la cerise, participe du même esprit. Comment le définir ? Paul Neuhuys recueille sans doute les échos du dadaïsme ; celui-ci, en pays flamand – on peut dire aussi, dans l'atmosphère hanséatique –, ne saurait hériter du nihilisme roumain de Tzara, ni de la tendance à l'Apocalypse des expressionnistes allemands. Il leur préfère l'absurde, notion qui ne sera à la mode que quinze ans plus tard, et il l'imprègne d'une vieille tradition flamande, qui est la satire, héritée aussi bien de Peter Breughel que de Charles de Coster. Il faut se moquer avec rage et douceur à la fois ; il ne faut pas détruire pour autant, la force de vie étant irremplaçable.

Les débuts de Neuhuys furent mentionnés ici à maintes reprises. Nous verrons qu'ils n'échappèrent pas à l'attention des anthologistes de l'époque...

Henri-Floris JESPERS

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30 juillet 2011 6 30 /07 /juillet /2011 21:18

 

FranceHervieu.jpg

Nicolas Ségur rapporte une conversation avec France à propos de Daphnis et Chloé, roman grec de Longus datant du premier ou du deuxième siècle de l'ère chrétienne.

Voilà un plagiaire que l'on doit bénir, dit-il. On l'a baptisé Longus, à cause probablement d'une coquille de copiste. En réalité il est anonyme. Mais nous savons par contre ce qu'il a fait. Il a pillé tous les poètes perdus de la Grèce. Son roman exquis est un tissu de plagiats, une mosaïque de vols. Félicitons nous-en. Que de grâce ignorée, que de subtile et rare sensualité évanouie, sans ce plagiaire.

N'est-ce pas, Hervieu, que c'est absurde cette chicane de plagiats qu'a inventée le vaniteux XIXe siècle, avec sa fameuse manie d'originalité ? Autrefois tous les sujets appartenaient à tout le monde et chacun prenait son bien où il le trouvait. Il existait, certes, la notion du plagiat, mais c'était pour désigner le larcin commis sans talent ni esprit, la défiguration maladroite de ce que l'on prenait. […]

Du reste, c'est simple ! Tous nous sommes plagiaires si nous valons quelque chose. Car nous ne pouvons énoncer une seule idée grande et lumineuse, ni saisir une situation durable sans voler quelqu'un, consciemment ou inconsciemment. Selon le mérite de chacun, on peut dire à peu près d'avance, s'il est vraiment plagiaire. Sardou l'est fatalement lorsqu'il emprunte, et Shakespeare ne le fut jamais, quoi que celui-ci ait infiniment plus volé que celui-là. Il tapait tout le monde, Shakespeare ! Mais il avait la

manière ! Tout est là.

 

 

HFJ

 

Nicolas SÉGUR, Conversations avec Anatole France ou Les mélancolies de l'intelligence, Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur, 1925, 201 p.

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30 juillet 2011 6 30 /07 /juillet /2011 02:47

 

Au hasard de mes recherches, je relis Un cadavre (Neuilly-sur-Seine, Imprimerie Spéciale du Cadavre, s.d. [1924], un feuillet in-4° de quatre pages). La chute de ce pamphlet a toujours hanté ma mémoire: 'Il ne faut plus que mort, cet homme fasse de la poussière.'

Il s'agit d'Anatole France (1844-1924), élu à l'Académie française en 1898, prix Nobel de littérature 1921.

anatole-france-eloge-funebre-zola.jpgÉloge funèbre d'Émile Zola par Anatole France, 5 octobre 1902

Co-fondateur de la Ligue des droits de l'homme, dénonciateur du génocide arménien, signataire de la pétition pour le révision du procès Dreyfus, Anatole France a rendu sa Légion d'honneur par solidarité avec Émile Zola. Deux avant sa mort les œuvres complètes de France furent mises à l'index.

*

Écrit en réaction aux funérailles nationales faites à Anatole France, Un cadavre constitue le premier texte surréaliste collectif. Louis Aragon et Pierre Drieu La Rochelle (qui finance l'opération) sont à l'origine de ce pamphlet qui se distingue d'emblée par cette extrême violence verbale qui caractérisera les interventions surréalistes. Cette pratique furieuse de l'invective à la rodomont deviendra jusqu'à aujourd'hui monnaie courante dans toutes les mouvances se réclamant peu ou prou du surréalisme.

« Avez-vous déjà giflé un mort ?' » demande Aragon. « Certains jours j'ai rêvé d'une gomme à effacer l'immondice humaine ». 

André Breton n'y va pas de main morte:

'Loti, Barrès, France, marquons tout de même d'un beau signe blanc l'année qui coucha ces trois sinistres bonshommes: l'idiot, le traître et le policier...
Avec France, c'est un peu de la servilité humaine qui s'en va. Que ce soit fête le jour ou l'on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme, l'opportunisme, le scepticisme et le manque de cœur ! Songeons que les plus vils comédiens ont eu Anatole France pour compère et ne lui pardonnons jamais d'avoir paré les couleurs de la Révolution de son inertie souriante. Pour y enfermer son cadavre, qu'on vide si l'on veut une boîte des quais de ces vieux livres "qu'il aimait tant" et qu'on jette le tout à la Seine. Il ne faut plus que mort, cet homme fasse de la poussière.'

*

Dans ses Mémoires à dada (1996), Paul Neuhuys (1897-1984) souligne qu' « Anatole France inaugure le roman artiste », formule à méditer. Si l'écriture artiste, qui peut passer pour un héritage des Goncourt, consiste en un effort d'invention verbale, le « roman artiste » illustre des inventions romanesques qui me remettent effectivement en mémoire L'Île des Pingouins (1908) ou La Révolte des Anges (1914).

*

Dans ses conversations avec Nicolas Ségur (1874-1944), Anatole France souligne:

...les capitalistes forment une infime minorité. C'est là leur force. Car ils peuvent mieux se concerter et s'entendre, comptent fatalement moins d'idiots gênants parmi eux, et peuvent exécuter des plans dans l'obscurité, sans éclat, sans bruit et avec patience.

Puis ils défendent leur fortune, tout ce qu'ils possèdent, et cela les rend acharnés, et cela leur fait serrer les rangs et les dents. Tandis que le pauvre peuple ne risque que ce qu'il n'a pas et par cela même manque d'ordre et va avec insouciance. Il défend de sa poitrine, des chimères, des articles de journaux, des espoirs futurs, et non de bons billets de banque, des titres, des maisons, des bijoux, des maîtresses, des automobiles...

HFJ

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23 avril 2011 6 23 /04 /avril /2011 06:04

 

jazz-band

                                                Dans ce

                                                        salon

                                                        où l’on

                                                        danse

                                               j’arbore mon rire

orchestre

                                              des plantes

                                                                                des lampes

                                             décor fiabesque

fausses amours                        gaieté d’emprunt

Un mastodonte auprès d’un colibri

trouve le temps moins long

Les guêpes, les guêpes

Pick-pocket opérant à la faveur des jeux olympiques

Le pianiste tripotant et ventripotent

Un oYcier raconte ses frasques

Un ami me présente sa maîtresse

un autre une cigarette

Le nègre saboule son banjo

le rythme de mon pouls

les cellules de mon cerveau

je cherche un équilibre

Le calabrisme ou la cachucha.

 

Pendant un solo de hautbois

un monsieur fait du remue-ménage

C’est un négociant en bois

cela se lit sur son visage.

 

Un souvenir gracieux comme un parasol

et l’âme, incane canéphore,

frissonne toute en son entéléchie.

 

 

Le mur suinte

Les guêpes, les guêpes

Ce que j’ai

le spleen clown du dandy

J’ai sommeil

quel intérêt cela a-t-il?

Allons prendre l’air

mon rire claque comme un drapeau mouillé.

Paul NEUHUYS

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22 avril 2011 5 22 /04 /avril /2011 05:59

 

Chanson

 

Chacun est venu sur la terre

pour montrer ce qu’il peut faire

La divette du music-hall

pétille comme l’eau minérale

L’aviateur salue son altesse

sérénissime, la vitesse

Les amants, au clair de lune,

cueillent des chardons dans les dunes

Un monsieur en smoking

chante le God Save the King

Le nageur exécute un saut

et tombe à plat ventre dans l’eau

La jeune fille pratique

pleure des larmes symétriques

Le voyou siffle sur ses doigts

plus fier qu’un merle au bord du toit

Chacun est venu sur la terre

pour montrer ce qu’il peut faire

Et nous voyons tous les matins

le but d’un voyage sans fin

Paul NEUHUYS

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