Le rôle de passeur qui fut celui de Paul van Ostaijen lors de son séjour à Bruxelles (octobre 1925 - avril 1926) mérite un examen approfondi. Co-directeur, avec Gérard Van Bruaene, de la galerie La Vierge poupine, il fréquentera le groupe proto-surréaliste et se liera d’amitié avec Marcel Lecomte (1900-1966).
Paul van Ostaijen évoqué par Jan Scheirs
Van Ostaijen accepta une proposition de Pierre Bourgeois de l'assister avec le poète René Verboom à la direction des « Compagnons de la Lanterne sourde ».
L’architecte Victor Bourgeois et le poète Pierre Bourgeois, « couple inséparable du mouvement moderne », donnaient le ton à l’hebdomadaire 7 Arts,qui se voulait le porte-parole du mouvement constructiviste en Belgique. Pierre Bourgeois se profilait également en théoricien de l’architecture. La Cité Jardin de Berchem Sainte-Agathe illustre l'étroite collaboration des deux frères. À l'invitation de la revue Ça ira, Pierre Bourgeois avait donné le 3 mars 1923 une conférence sur l' « Architecture moderne » à Anvers.
Le 15 septembre 1925, Pierre Bourgeois adresse une lettre dactylographiée à Van Ostaijen, dans laquelle il assure ne pas partager l' « admiration » de Paul Vanderborght pour l'Université Libre de Bruxelles. Bourgeois considère « cet organisme comme étant réactionnaire effroyablement à 90 % de sa composition ».
Mais cela n'a pas d'importance.
L'essentiel est que les directeurs de la Lanterne sourde puissent collaborer loyalement, amicalement. Pourquoi exiger l'identité des conceptions? […] Nous sommes on le sait les enfants terribles de la gauche, enthousiasme et esprit subversif. Cette indépendance batailleuse crée un lien plus ferme que l'emboîtement précis des doctrines.
Bourgeois assure Van Ostaijen avoir eu des incidents avec des personnalités qui se sont produites à la Lanterne sourde.
Des conférenciers amis tels Auguste Vermeylen par exemple ont parlé des lettres flamandes dans un sens que je n'admets pas. Mais ce que je sais c'est que l'ensemble de la Lanterne sourde depuis 2 saisons constitue esthétiquement et socialement une force de pousséevers la gauche. Ce n'est pas – et nous ne voulons pas que cela soit – une association de combat artistique précise (telle que 7 Arts par exemple) c'est un groupe de ralliement des indépendants qui suit l'actualité dans l'intention de l'animer selon une cadence audacieuse.
En ce qui concerne le fait de « casser l'encensoir sur le nez des officiels » je le fais moins que quiconque.
Soucieux de dissiper les dernières réticences de Van Ostaijen, Bourgeois souligne que les directeurs de la Lanterne sourde ne sont pas liés par « un contrat », mais par « une tendance ».
Ils ne se ressemblent en rien sinon par l'orgueil artistique, un besoin de fraternité, la haine du poncif. Pourquoi aurions-nous des statuts? Qu'on nous juge à nos œuvres.
J'ai bien réfléchi: y a-t-il le moindre contradiction entre ces directives et votre lettre?
L'incorrigible jacobin peut compléter très bien la galerie des directeurs de la Lanterne sourde......
Et d'y ajouter en post-scriptum que Paul Vanderborght ne voit pas pourquoi l'acceptation de Van Ostaijen ne serai pas définitive.
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C'est René Verboom, qui avait avait collaboré à la revue Résurrection (1917-1918), dirigée par Clément Pansaers, qui eut l'idée d'ouvrir la saison 1925-1926 par la présentation des trois directeurs, le jeudi 29 octobre à la Maison des Étudiants, Palais d' Egmont. Au programme: « les poètes Bourgeois, Van Ostaijen, Verboom par eux-mêmes: à-propos techniques et lectures ». Une partie de la soirée serait un « hommage de la jeunesse universitaire et artistique au compositeur-pédagogue bruxellois Paul Gilson ». L'annonce était signée par les trois directeurs et, « pour le Comité estudiantin », par les étudiants R. Didisheim en P. Vermeylen. Bourgeois se souviendra que René Verboom s'est abstenu de paraître à la séance. « C'était son genre ». Marcel Lecomte et Marc. Eemans se souviendront jusqu'à la fin de leur vie de l’effet de surprise produit par Van Ostaijen chantant ses poèmes.
Dans son édition du 1ernovembre, 7 Arts publia un compte-rendu de la soirée par Paul Werrie ainsi que l'allocution de Pierre Bourgeois (« Bavardages autour de la poésie »). La profession de foi de Van Ostaijen (« Le renouveau lyrique en Belgique ») parut dans l'édition du 15 novembre.
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Pierre Bourgeois situa exactement les dernières semaines de Van Ostaijen à La Lanterne sourde:
Le 7 avril 1926 il m'écrit du 44, rue Albert, à Anvers, me demandant de le prévenir quand sa présence sera nécessaire à La Lanterne sourde. Le 18 du même mois, il me présente sa démission comme... membre du directoire. Une séance avait été organisée à son insu (Je suppose que le changement d'adresse en était la cause). Cette démission ne changeait pas la nature de nos relations. Il terminait sa lettre en me serrant la main: toutes nos divergences artistiques à part, je suis très heureux de pouvoir t'appeler mon camarade. Ce bonheur était réciproque.
Henri-Floris JESPERS