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26 août 2014 2 26 /08 /août /2014 22:33

 

NEUHUYStumulte.jpg

En 1919, Paul Neuhuys (1897-1984) publie Loin du tumulte, recueil de poèmes préfacés par Max Elskamp (1862-1931) :

...un soir de l’hiver 1917 [lire: 1919], le vieux poète vint lui-même glisser le précieux texte dans ma boîte aux lettres : « Il existe donc, le pays des rêves… » Les poèmes de Loin du tumulte n’étaient guère qu’une prouesse de rhétoricien […]. L’ouvrage parut aussitôt après la guerre, au lendemain de l’armistice. Publier c’est oublier. (1)

*

Voici le poème 'Max Elskamp', daté fin décembre 1916 :

 

Poète au pâle front, de bénévole augure,

Qui te réclames de l'enfant fervent, encor,

Ta muse, en s'arrangeant avec grâce, inaugure

Un mode d'éprouver et de s'exprimer d'or.

 

Ce langage fleuri, qui reflète un remous

D'abysses bleus, de vergues d'or, d'étoiles frêles,

Parfois, complique si infiniment ses ailes,

Qu'il devient douloureux, à force d'être doux.

 

Peintre qui te dédies aux maîtres primitifs,

Le ton de décadent dont ta palette est pleine,

Aux anges de Memling, pose un reflet furtif

De mauve Mallarmé et de doux bleu Verlaine.

 

Ton âme d'enfant clair, miniature d'un ciel,

Qui se comptait toujours aux grotesques candides,

Est sage comme ces images de missel,

Dont s'est enluminé ton horizon limpide.

 

Penseur fervent, penseur profond, penseur fragile,

Tes mots, à force d'être simples, sont hardis,

Ils répandent une grâce d'outre-Évangile

Qui nous apprend comment on parle en Paradis.

 

Parmi toutes les nefs que ton rêve imagine,

Il en est une, dont le sourire amical

T'invite à découvrir pour ta tristesse fine,

Un domaine vraiment, vraiment dominical.

 

Tu rêves d'Orient, alors, et t'extasies

Vers l'Archipel fleuri et le steppe nacré ;

Tu voudrais te choisir dans la lointaine Asie,

Au sein des alizés, un asile sacré.

 

Tu rêves du pays salubre, atténué

Par des mœurs s'inclinant au gré des moussons chaudes,

Et où après avoir, gracieux, évolué,

Les paons fiers font la roue au sommet des pagodes.

 

Là, des plumages d'or brillent dans l'air doré ;

Dans l'onde pacifique où nagent des dorades,

Le soleil plonge, au soir, son grand disque adoré,

Quand le geai pousse un cri sur son palais de jade.

 

C'est là que tu prends ta sagesse quotidienne ;

C'est là que tu voudrais, inouï Salomon,

T'étendre infiniment, quand l'ombre méridienne

Va se projeter sur l'admirable gnomon.

 

Le soleil comble d'or ce pays indolent,

Où des femmes, fleurs que le désir enveloppe,

Pour s'offrir à vos sens, s'avancent, à pas lent,

Parmi les tournesols et les héliotropes.

 

Et tu causes ainsi d'une Chine bénie,

En levant un index philosophique et las,

Et quand ta voix se tait, rêveuse... tu t'écries :

Je ne sais pas, vraiment, pourquoi je vous dis ça.

 

Tu es le mieux-disant, ô maître, sur ta bouche,

Viennent s'épanouir de blonds Eldorados ;

L'Europe te fait peur, toi, celui qu'effarouche

La goétie monstrueuse des ghettos.

 

Ô Max Elskamp, ô mon maître mystérieux,

Par ces temps menstruels, j'aime, dans notre fange,

Découvrir, un à un, les arcanes pieux,

Dont tu tressas, jadis, ta candide Louange.

 

Ce que n'oubliera jamais mon cœur sincère,

C'est la minute de bonheur effarouché,

L'instant inespéré de confusion chère,

Où vers moi, votre front, bienveillant, s'est penché.


Elskamp1.jpg

Bois de Max Elskamp

Pour leur « simplicité, sensibilité, sincérité », Francis Jammes et Max Elskamp étaient les deux poètes chez qui Neuhuys, à cette époque, trouvait « des affinités électives ». Plus tard, il soulignera que trois hommes l'auront poussé « sur l'épineux sentier poétique : Elskamp au matin, Cocteau au méridien, Hellens au déclin ». (2)

J'y reviendrai.

Henri-Floris JESPERS


(1) Paul NEUHUYS, Mémoires à dada, Bruxelles, Le Cri, collection Les Évadés de l'Oubli, 1996, p. 45.

(2) Ib., p. 36, 122,

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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 11:40

 

JoostensLe révolutionnaire

Paul Joostens: "Le Révolutionnaire" (Sélection, no 2, 15 septembre 1920)

 

Dès 1916, 1917, Paul Joostens (1889-1960) s’affirme comme un des représentants les plus radicaux de l’avant-garde anversoise, et il est perçu comme tel par la critique. Il applique les théories cubistes de Gleizes et Metzinger et se laisse séduire par le dynamisme et le simultanéisme futuristes. Son état d’esprit est bien illustré par une lettre inédite, adressée au mécène Fédéric Speeth (1851-1920), datée du 4 septembre 1919, que nous reproduisons intégralement à l'attention des chercheurs.


« Monsieur,

J’ai bien reçu votre honorée lettre et vous remercie chaleureusement. Mon intention n’est pas de vous imposer une théorie quelconque.

Permettez-moi d’offrir à vos réflexions les extraits suivants :

Celui qui veut comprendred’abord, sentir ensuite a tort. – Comprendre c’est raisonner. Il n’y a que le créateur qui raisonne. Le spectateur jouit. L’auteur interprète son sujet et le présente au public sous sa responsabilité. Cette discipline requiert la synthèse. Plus de détails à chicane – on présente des œuvres essentiellement frappantes…L’œuvre existe en elle-même. L’artiste existe en lui-même, et ne prend fond que sur sa sensibilité. Dès lors il nous intéressera. Lorsqu’une œuvre semble en avance sur son époque, c’est simplement que son époque est en retard sur elle.

La peinture évolue tout comme les sciences techniques. Il importe de rendre à la peinture son caractère autonome. La peinture fut descriptive tant qu’elle emprunte des éléments intermédiaires (histoire, allégorie, nature) pour rendre la pensée. La peinture se fait plastique lorsque ses moyens d’expression lui permettent de transposer une réalité intérieure (sentiment, pensée) en une réalité extérieure (visuelle).

Il s’agit de la peinture pure. La valeur du tableau réside non dans sa valeur pratique mais plastique. Il en est qui copient la nature. La nature n’est pas un exemple pour l’artiste, mais elle fait partie du matériel dont il dispose à son gré. L’artiste ne sert pas la nature, mais elle lui est soumise. Lorsque le public ne voit pas la nature dans un tableau, il conclut à l’incapacité de l’artiste.

L’incompréhension apparente de l’art moderne réside dans la difficulté de voir plastiquement. De même qu’il faut l’ouïe musicale pour déchiffrer une symphonie, de même la peinture exige une intelligence plastique. Il en est qui sont doués musicalement, d’autres possèdent le sens de l’art plastique.

Respectueuses salutations.

P. Joostens »

*

L’écho de l’évangile de Gleizes et Metzinger, passionnément prêché par Paul van Ostaijen, est aisément perceptible. Ce dernier avait souligné à souhait que Joostens avait pressenti intuitivement et comme par instinct que le tableau n’imite rien mais présente nûment sa raison d’être. Joostens est un « peintre pensant », car il accepte le principe que l’œuvre d’art a une valeur abolue, indépendamment de la nature. L’art et la nature forment deux univers séparés. Il s’agit de comprendre, dit Joostens, de préférer la raison au au cœur – et c’est pourquoi il adopte la démarche cubiste. La réalité dite objective ne l’intéresse plus. L’art est affaire de l’esprit. Foin de sentimentalité et de sensibilité ! Il s’agit, au contraire, d’analyser et d’interpréter les objets du monde : Nous ne pouvons plus jouir par les yeux du cœur, mais par les yeux de la raison.Ce sont là les vues qu’il développe dans ses interminables missives à Jos Leonard, « pages de journal plus que véritables lettres », dixit Jean F. Buyck, l’éditeur de cette correspondance souvent hilarante.

Acerbes ou même malveillants sinon franchement méchants, parfois lassants ou même pénibles sinon navrants, ces textes ne laissent pas de séduire par leur sincérité, leur extrême originalité et totale indépendance d’esprit. Ils éclairent crûment la personnalité tourmentée et agressive du peintre, sa psyché trouble et habitées d’obsessions désintégrantes. Il s’agit bien, comme l’écrit Buyck, de « l’expression hyper-individuelle d’un tempérament hyper-individualiste ».

Cette correspondance, datant principalement du début des années vingt, révèle la misogynie pathologique de Joostens. Entre l’homme et la femme il n’y a pas de commune mesure. L’homme le plus fort est toujours plus faible que la dernière des femmes. La femme – « le sexe jouisseur » - est spirituellement inférieure et impuissante.

« Nourries du pain légitime ou bien ventre en tire-lire elles servent à la consommation générale et universelle. Toutes, entendez-vous, toutes vivent aux dépens des êtres nobles et mâles que nous sommes. L’homme travaille pour elles (à part les bons maquereaux). Elles sont la marchandise coûteuse. L’article de luxe. La chair se paye comme le saumon et le champagne. (…) Il fait bon n’avoir plus à souffrir de cette plaie rouge – blessure qu’elles nous montrent du soir au matin et vice versa. Le bonheur de mourir, c’est d’être délivré de l’obsession de la femme. »

*

En 1919, 1920 et 1921, Joostens exécute une série de toiles qui constituent incontestablement un des sommets de son œuvre peint.

Henri-Floris JESPERS

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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 01:53

Henri-Vernes-

La Pierre d'Alun et la librairie Cook & Book présentent dans la collection “Pierre d'Angle” le cinquième coffret Histoire en images, textes inédités de Henri Vernes et estampes de Loustal.

À cette occasion, une séance de dédicaces aura lieu avec les auteurs le dimanche 21 septembre de 15 à 17 heures, avenue Paul Hymans 251, 1200 Bruxelles.

*

Henri Vernes (pseudonyme de Charles-Henri Dewisme, ° Ath, 16 octobre 1918) travailla pendant la guerre comme espion pour les services secrets britanniques. Après les hostilités, il fut correspondant pour une agence américaine. En 1953, il crée le personnage de Bob Morane dont les aventures, déclinées dans 215 romans qui mêlent aventures policières et espionnage, voyages et anticipation – un véritable phénomène d'édition – connaissent un succès mondial et ont été adaptées en bande dessinée.

Sans aucune fausse modestie, Henri Vernes, conteur cosmopolite, déclare ignorer, à 10 millions d'exemplaires près, le tirage de ses romans...

*

L'œuvre de Jacques de Loustal (° 1956), auteur de BD, illustrateur et peintre, est souvent comparée à celle de Balthus, Max Beckman, Otto Dix, Paul Gauguin, Georges Grosz, David Hockney et Edward Hopper – c'est dire l'éventail de son talent.

*

Dans les années 50, j'étais accro aux aventures de Bob Morane, qui paraissaient à intervalles réguliers dans la collection Marabout. Et je me souviens, comme si c'était hier, de la chanson 'L'Aventurier'. Le groupe de pop électro français 'Indochine', issu du courant new wave, formé en 1981, connut en effet un importance succès avec un titre comme L'Aventurier, qui fit un véritable carton durant l'été 1983 (700.000 exemplaires et un Disque d'Or) :

Ègaré dans la vallée infernale
Le héros s'appelle Bob Morane
À la recherche de l'Ombre Jaune
Le bandit s'appelle mister Kali Jones
Avec l'ami Bill Ballantine

*

En 2009, les éditions À la pierre d'Alun publièrent un inédit de Henri Vernes, illustré par le peintre argentin Antonio Segui (° 1934), La forêt du temps, datant de 1945. Introduisant ce texte, Daniel Fano (° 1947) souligne à juste titre que Dewisme « était déjà in écrivain véritable, c'est-à-dire conscient des effets qu'il installe, et surtout, un fabuleux conteur qui vous accroche de l'incipit au point final ».

HenriVernesMarchetti.jpg*

On ne saurait assez souligner les mérites du remarquable éditeur et galériste Jean Marchetti, qui publia en 1994 Prométhée, pièce de théatre inédite de Paul Neuhuys, illustrée par Jiří Kolář (1914-2002).

Henri-Floris JESPERS

Voir sur ce blogue:

http://caira.over-blog.com/article-erro-a-paris-et-a-bruxelles-50-ans-de-collages-50326261.html

http://caira.over-blog.com/article-la-pierre-d-alun-jean-luc-outers-et-hugo-claus-103487285.html

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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 21:39

 

PierreAlun1.jpg

La Pierre d'Alun annonce la parution dans sa (à tous points de vue remarquable) collection du soixante-deuxième livre, entièrement en couleur, Lulu Pompette, poème inédit de Robert Goffin, préface de Jean-Marie Horemans, avant-propos de Henri-Floris Jespers, illustrations de Eduardo Arroyo.

Cet ouvrage de 80 pages, au format de 16,5 x 225 cm, est tiré et numéroté à 600 exemplaires vendus au prix unitaire de 32 €. Les cinquante premiers exemplaires de tête sont accompagnés d'une œuvre originale de Eduardo Arroyo. Ils sont signés et numérotés de 1 à 50 par les auteurs et vendus au prix unitaire de 185 €.

*

Ce fut dans un climat de forces bouillonnantes et contradictoires que le jeune Goffin écrivit en 1921 Lulu Pompette. Grâce à l'infatigable chercheur Jean-Marie Horemans et à l'élégant éditeur Jean Marchetti, voici enfin l'édition intégrale de ce poème-scénario dont nous ne connaissions que le prologue prometteur, paru en août 1922 dans le Disque vert.

Éditions La Pierre d'Alun asbl, 81 rue de l'Hôtel des Monnaies, 1060 Bruxelles

www.lapierredalun.be

À propos de Robert Goffin, sur ce blogue :

http://caira.over-blog.com/article-robert-goffin-marelle-de-la-poesie-124108779.html

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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 11:04

 

Lecomte2.jpg

J'ai rencontré pour la première fois Marcel Lecomte vers les années 20, du temps qu'il faisait son service militaire, et qu'il était, je crois, caserné à Anvers. J'habitais la rue du Moulin, ainsi dénommée parce que c'est une rue qui tourne comme la fortune.

Crâne tondu, uniforme kaki, Marcel Lecomte venait me lire son poème Irène écrit dans les serres chaudes du désenchantement. Ce qui caractérisait déjà l'homme, c'était une certaine coquetterie, la coquetterie de la lenteur. Nul ne connaît comme lui l'art de décomposer les gestes.

Poésie très élaborée, formulée à voix haute dans l'hyperespace cryptique du rêve ? « Il m'apparut, dit-il, que la création de mythes pouvait mieux m'aider à vivre que la perception du réel immédiat. » Et c'est à partir du Règne de la lenteur que la métaphore devient symbole, se hausse jusqu'au mythe et du mythe jusqu'aux archétypes. « De quels traits se formeraient les dieux s'ils n'étaient marqués de signatures astrales, de celles des plantes et des réseaux les plus complexes et délicats de la pierre ? De quels traits se formeraient-ils, s'ils n'étaient l'alphabet des métamorphoses ? »

Marcel Lecomte me parlait de ses voyages, de ses lectures : il avait été en Thuringe sur les traces d'Hölderlin, en Provence à la découverte des Albigeois. Il me parlait de Paracelse, de Corneille Agrippa. « Tu sais, concluait-il, le monde invisible existe, mais il ne s'occupe pas de nous. » Il m'avait promis un jeu de tarots... Mais aujourd'hui, spectateur effacé, il a quitté cette terre de chair.

Paul NEUHUYS

(Mémoires à dada, Bruxelles, Le Cri, coll.Les Évadés de l'Oubli, 1996)

 

                                                   Irène

                                                          À Georges Bohy

Le ciel est dans l'eau

joli poisson bleu

La vie – Irène – est opium à chaque minute

et tu connais la vérité – la plus belle religion

du monde – c'est toi

Bâtis en salles de spectacle tes yeux – on voit –

on voit le soleil qui plonge au crépuscule

et encore le gouffre béant que dérobe le soleil

Toute la lumière s'épanche du sein de la terre

roule sur toi debout le long de ton corps qui

gémit –

violoncelle que fait chanter la corde du vent –

Irène

tes bras tournent dans l'ombre – et ta tête –

clarté bleue – s'incline charmante attendrie

sur un gros nuage qui passe en effaçant la lune –

à l'étang – caressent souriantes – l'eau verte

les algues la mousse végétation souriante – tes mains

- couples d'oiseaux

blancs.

Le soir tu es un désir profond

qui luit comme une feuille de verre

brille feuille à feuille

brin d'herbe géant.

Tout s'écroule de moi.

Tu laisses un dessin sans apparences arabesques

serpente dans le noir – silence.

Demain à l'aube en fleur-de-glace

mon espoir qui tinte au réveil de la forêt

et – femme – tu seras la lune

suspendue à la dernière branche morte.

*

'Irène' parut dans le premier recueil de Marcel Lecomte, Démonstrations (Ça ira, Anvers, 1922).

Marcel LECOMTE, Poésies complètes. Édition établie et présentée par Philippe Dewolf. Postface de Colette Lambrichs. Avec deux dessins de René Magritte. Paris, Clepsydre / Éditions de la Différence, 2009, 253 p.

HFJ

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19 août 2014 2 19 /08 /août /2014 14:54

 

Neuhuys1922.jpg

Paul Neuhuys, Knokke, 1922

Mon urgent appel à l'aide de ce matin à propos de Marce Lecomte et de Paul van Ostaijen me remet en mémoire un passage des Mémoires à dada (Bruxelles, Le Cri, coll. Les Évadés de l'Oubli, 1996, p. 133-135) de Paul Neuhuys...

 

En 1913 exactement il y avait à Anvers, place Verte, une librairie adossée à la cathédrale : la librairie Ackermann. […] Ackermann était un Allemand, un beau et respectable vieillard à cheveux blancs et c'est lui qui me montra, avec une certaine ironie d'ailleurs, un livre qui venait de lui arriver, d'un assez grand format : Les Peintres cubistes de Guillaume Apollinaire […] C'est bien ce livre qui allait décider de la carrière de deux jeunes d'alors : Paul Van Ostayen, le poète et Floris Jespers, le peintre. Car ce qu'Apollinaire était alors pour Picasso, Van Ostayen devait le devenir pour Jespers.

Je ne les connaissais ni l'un ni l'autre à cette époque. Je ne devais les rencontrer que plus tard, en 1922-23. Jespers m'avait alors présenté son ami Van Ostayen à Knokke à l'heure des bains. Très cérémonieux, Van Ostayen avait l'air d'être en smoking dans son costume de bain et je me rappelle qu'au moment où nous nous serrions la main, une vague nous renversa tous les deux à la grande joie de Flor qui, de nous trois, savait certes le mieux nager. Je le recontrai encore par la suite, toujours chez Jespers.

VanOstaijen-in-Berlijn.jpg 

Paul van Ostaijen, Berlin, 1919

Il y a quelques années, je me suis amusé à imaginer un dialogue entre les deux Paul.


Paul van Ostaijen : Si donc voulant lire des poèmes — et évidemment vous les lirez à haute voix, puisqu’il s’agit de sons et de sonorités — vous vous êtes mis à en composer et si même cet exercice est, supposons-le, resté sans résultat positif, vous en emporterez cependant cette connaissance-ci que les poèmes les plus difficiles sont ceux que tout le monde pourrait faire. On réussit assez rarement une poésie comme celle d’Apollinaire qui

commence par : « Toc toc Il a fermé sa porte… » Il n’y a qu’une chose qui soit difficile en poésie : trouver et garder l’équilibre dans le facile.

Paul Neuhuys : La poésie n’est pour moi qu’une faculté d’émerveillement.

PvO — Émerveillement : je m’étonne de mon pouvoir de suivre, par mon utilisation du mot, les phénomènes dans leurs valeurs les plus imperceptibles à la seule intelligence.

PN — La poésie a toujours échappé à la sagacité des critiques comme l’étincelle vivificatrice échappe à l’investigation des cliniciens.

PvO — Par l’émerveillement devant le mot je sauve au cours de son extériorisation mon émerveillement devant le phénomène.

PN — La poésie n’est qu’une combinaison de mots qui se font valoir. La poésie ne sonne jamais faux, si l’on sait mettre l’accent où il faut.

PvO — Il y a deux tendances poétiques : la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite.

PN — Le « know how » de la poésie. Savoir comment ça se fabrique.

PvO — Le vrai poète est un monsieur qui écrit lui-même des poésies à sa mesure. Il joue à la fois au client et au tailleur, étant tailleur précisément parce qu’il est également client.

PN — Lorsqu’on me disait d’un poète qu’il avait pris conscience de la gravité de son art, je savais d’avance que je le trouverais un peu rasoir.

Dialogue fictif? Oui, certes, mais non point imaginaire : je cite fidèlement et littéralement les deux poètes...

Henri-Floris JESPERS

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19 août 2014 2 19 /08 /août /2014 07:13

 

MarcelLecomte.jpg

Marcel Lecomte, circa 1956. Photo: Georges Thiry

Appel à mes honorables correspondants...


Marcel Lecomte a collaboré à la revue Hermès (Bruxelles, 1933-1949), dirigée par René Baert et Marc. Eemans (et, dans les coulisses, Camille Goemans) – bientôt flanqués d'un comité de rédaction où figuraient e.a. Bernard Groethuysen, André Rolland de Renéville et Henri Michaux (rédacteur en chef). Dans la première série (juin 1933 – mars 1935) il publia un essai sur Hofmannsthal et une note critique sur Pierre Jean Jouve.

*

La première livraison de la seconde série de Hermès (janvier 1936) contient un article de sa main consacré au poète flamand Paul van Ostaijen (p. 103-105): "De l'émotion optique dans un poème de Paul van Ostayen".

Il s'agit de l'un des deux numéros de cette revue qui ne figurent pas dans ma collection.

Je pourrais le consulter en bibliothèque, mais cela exige un déplacement qui m'est, ces jours-ci, fort pénible.

Un scan ou une photopie de cet article de Marcel Lecomte me comblerait de joie...

Henri-Floris JESPERS

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12 juillet 2014 6 12 /07 /juillet /2014 23:55

 

Écrire me fatigue de plus en plus

aussi serai-je d’autant plus bref.

 

Poète sans beaucoup d’audience

je me suis fait un ‘non’ dans les lettres.

 

Loin des esprits enrégimentés

par les entrepreneurs de félicité

 

ce qui me rend la vie supportable

c’est qu’on s’occupe peu de moi.

 

(Le Secrétaire d'acajou, Anvers, Ça Ira, 1946)

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11 juillet 2014 5 11 /07 /juillet /2014 22:11

 

PietDeGroof.jpg

Piet de Groof / Walter Korun est assurément la figure la plus paradoxale passée dans les rangs de l’Internationale situationniste (IS), à laquelle il adhère dès 1957 : polytechnicien, passionné d’aviation, il mènera de front ses activités artistiques subversives et une carrière dans l’armée de l’Air, qui le conduira à devenir général de la Force aérienne belge.

KORUNconnexion.jpg

"taptoe", 24-25, place de la Vieille Halle aux Blés, Bruxelles

Le 2 février 1957, le centre « taptoe », (sis au 24-25, place de la Vieille Halle aux Blés, à Bruxelles), animé par Gentil et Clara Haesaert, organise la première exposition de psychogéographie présentée par le mouvement international pour un Bauhaus Imaginiste, l'Internationale Lettriste et le Comité Psychogéographique de Londres. Cette exposition préfigure le regroupement de ces trois initiatives sous la forme de l'Internationale situationniste (IS), définitivement cristallisée lors d'une réunion à Cosio d'Arroscia le 28 juillet 1957. Soulignons en passant que Walter Korun / Piet de Groof ne fut pas « exclu » de l'IS, mais « relevé de ses fonctions » par Guy Debord, qui pourtant ne mâchait pas ses mots – distinguo scrupuleux dont il convient de bien tenir compte...

*

Dans un dossier copieusement illustré, publié en avril 2008 dans le numéro 14 de la revue Connexion, j'ai tenté de reconstituer la chronologie des interventions situationnistes en Belgique à la lumière des nouveaux éléments apportés par Le général situationniste, l'excellente monographie de Gérard Berréby et Danielle Orhan consacrée à Piet de Groof / Walter Korun, à laquelle j'ai modestement contribué.

Les exemplaires de Connexion, cette surprenante revue d'art et de littérature animée par le jeune historien, archiviste et connaisseur averti de la BD Robin de Salle, collaborateur émérite au Bulletin de la Fondation Ça ira, sont aujourd'hui des « collector's items ». La revue a cessé de paraître, et le blog de Connexion est hélas supprimé.

Oui, j'en suis bien conscient, l'IS et Piet de Groof / Walter Korun ne font pas courir les foules, ni même mes lecteurs avertis. Néanmoins, je recommande vivement la lecture de l'incontournable publication des éditions Allia.

*

Ami des artistes, homme de goût et fin critique, Pieter Marie Julien de Groof (Malines, 16 mai 1931 – Jette, 4 juillet 2014) a joué dans la vie culturelle bruxelloise un rôle volontairement effacé mais non moins stimulant ni dépourvu d'une certaine bravoure - et que l'on ne saurait surestimer.

Henri-Floris JESPERS

Cf les blogues du 10 juillet:

http://caira.over-blog.com/article-decede-le-general-situationniste-124116852.html

http://mededelingen.over-blog.com/article-overleden-walter-korun-piet-de-groof-124116717.html

*

Walter KORUN, « Entretien avec Asger Jorn », in Kunst-Meridiaan, V, nos 4-5, premier semestre 1958. (Repris in Gérard BERRÉBY, Textes et documents situationnistes, 1957-1960, Paris, Éditions Allia, 2004.)

Freddy DE VREE, Wyckaert, Tielt / Anvers, Lannoo / Fonds Mercator, 1986.

Corneille HANNOSET, taptoe, Éditions d'Art Laconti, 1989.

Piet de Groof, Le général situationniste. Entretiens avec Gérard Berréby et Danielle Orhan, Paris Éditions Allia, 2007.

Henri-Floris JESPERS, « Le général situationniste », in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 32, 4me trimestre 2007.

Hendrik CARETTE, « Les mémoires d'un général », in Septentrion, 2008, no 3.

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10 juillet 2014 4 10 /07 /juillet /2014 03:45

 

DeGroof

Piet de Groof, alias le poète flamand Walter Korun (°Malines, 16 mai 1931), est décédé le 4 juillet à Jette (Bruxelles). Les éditions Allia lui ont concacré une superbe monographie de la main de Gérard Berréby.

Point besoin de nous répéter : nous avons déjà ici à plusieurs reprises évoqué la carrière et les mérites de Piet de Groot.

Voir e.a. :

http://caira.over-blog.com/article-18624814.html

http://caira.over-blog.com/article-16953765.html

http://caira.over-blog.com/article-19541361.html

http://caira.over-blog.com/article-16026072.html

*

Je garde pieusement le souvenir ému d'un personnage affable, érudit et discret, complice hors du commun et témoin privilégié des retombées de Cobra à Bruxelles, l'un des premiers membres belges de l'IS (Internationale Situationniste).


Henri-Floris JESPERS


cf.http://mededelingen.over-blog.com/article-overleden-walter-korun-piet-de-groof-124116717.html

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