Paul Neuhuys (1897-1984), xylographie de Luc Boudens (2000) d'après un dessin de Floris Jespers (1923)
Céline Arnauld apporte dans la poésie moderne un délicat tempérament féminin. Sa poésie jaillit de source comme une eau fraîche.
Dans les "Poèmes à Claires Voies", Céline Arnauld s'égare avec volubilité sur les sentiers inconnus de l'absurde. Elle y recueille une poésie blanche comme un pommier d'avril. Le lyrisme de Céline Arnauld respire une jeune allégresse. C'est fini de chercher la vérité au fond d'un puits désséché. Les poètes lui ont appris le vol lumineux des mots et elle mène les idées comme une ronde de petits enfants insouciants et gais. “On comprend tout à l'envers, dit elle, et c'est mieux”
Les formes de la poésie moderne se prêtent aux multiples ressources de la sensibilité féminine. C'est un matin clair pour le cœur de la femme.
Des bras de fillettes demeurent suspendus
Au cou de la lumière...
Céline Arnauld s'est débarrassée des tendresses romantiques. Mme Desborde Valmore fut, elle aussi, un poète maudit. La poésie d'aujourd'hui demande à ses adeptes un cœur nouveau, le cœur “trempé à la chaux”.
Avec un esprit éminemment féminin, Céline Arnauld se plaît à conter des histoires enfantines, l'histoire de l'ours qui attrape des guêpes avec sa patte, celle de l'esthète qui d'un seul coup renverse une locomotive dans le fossé. Elle s'abandonne entièrement au mouvement d'expansion que lui procure sa conscience. Elle aime la campagne, sa faune et sa flore. Les claires voies des chemins s'ouvrent sur le mystère familier des choses. Elle préfère l'inoffensif orvet des champs à l'aspic de Cléopâtre et quand elle ferme les yeux elle conserve au fond d'elle-même une riante vision du monde. Comme le témoigne la petite pièce “Paupières” toute pénétrée d'une tendre ironie:
La margelle ouvre sa fenêtre
aux moissonneurs du ciel
et les guinguettes tendent l'oreille
à la musique des branches ensoleillées.
Par le chemin que le soleil défend
sans pensées ni regrets
le printemps entre en sifflant
dans le parc parasol
où les enfants sous le poids des sabots
étouffent le chuchotement des routes.
Le lilas s'ouvre et raconte sa peine à tous les passants
La fille du notaire a mis son chapeau rose
et la lune en bonnet descend vers la vallée
Alors les chicorées ont éclaté de rire
et toutes les banques ont fermé leur crédit à l'amour
Mais le puits s'est enivré de ruisseaux passions
Et la margelle s'est close sur tant de souvenirs
La poésie de Céline Arnauld s'échappe dans tous les sens et décèle un perpétuel besoin de mouvement. Elle dira:
Les étoiles changent de place à chaque regard
Il résulte aussi de cette poésie une souveraine impression de blancheur. Tout y est blanc comme l'aube, blanc comme l'archet et dans “Point de Mire” Céline Arnauld dira:
Là-bas, les tombes s'ouvrent comme des lys.
Si les hommes cherchent le rameau d'or, les femmes lui préfère le miroir d'argent. Céline Arnauld poursuit une poésie modeste mais exempte de médiocrité. Sous toute sa douceur passe, par instant, un sentiment de profonde humanité:
Surtout ne regarde pas avec indifférence
Les morts te trahiront
Ce sont eux les loyaux les rêveurs d'opium
La transparence de notre esprit
Qui ne supporte pas le tombeau
Ni le suicide du cœur...
Mais les bras qui se tendent
Possession immense de ce moi d'amour
De verve intérieure et d'incompréhension
L'âme flotte au bord du mystère. La poésie est une arme élégante braquée sur l'inaccessible point de mire qui se dérobe dans le vent, dans l'eau, dans la flamme. Et l'on a moins de chance de toucher ce point mouvant par toute l'attention de l'esprit que par la charité du cœur.
Céline Arnauld est une Shéhérazade qui invente des chansons pour ceux qui comme elle ont besoin d'apaiser leurs colères, leurs regrets. Ella a quitté délibérément la voie traditionnelle et conduit sur une colline ensoleillée la meute joyeuse des images.
Paul NEUHUYS
(Ça ira !, no 20, janvier 1923, pp. 203-205)