À Anvers se tiendront bientôt deux remarquables expositions qui illustrent à souhait la volonté de la Flandre de considérer ses écrivains francophones comme faisant part entière de son patrimoine culturel.
Les « World Outgames » sont l'occasion rêvée pour organiser une rétrospective sur la vie, l'œuvre et l'engagement de Georges Eekhoud (1854-1927). Cet auteur flamand francophone né à Anvers a consacré son œuvre aux parias et laissés-pour-compte de la société. Il fut l'un des premiers à aborder dans ses romans l'homosexualité sous un angle positif, ce qui lui a d'ailleurs valu un procès retentissant en 1900.
La Letterenhuis (Maison des Lettres, le nouveau label du AMVC, Musée et Archives de la Vie Culturelle Flamande) se concentre sur la vie personnelle et sur l'engagement social, anarchiste et pacifiste de Georges Eekhoud. L'exposition fait également la part belle à son procès et à l'action de solidarité menée par les auteurs belges et étrangers afin de soutenir le roman Escal-Vigor. Les journaux ainsi que la correspondance révèlent que l'auteur flamand n'était pas uniquement familiarisé avec l'aspect platonique de l'amour masculin...
La salle Nottebohm de la Erfgoedbibliotheek (bibliothèque patrimoniale) Hendrik Conscience, une des plus belles de Belgique et des Pays-Bas, met de son côté l'accent sur les nombreuses relations littéraires et internationales d'Eekhoud, notamment Magnus Hirschfeld, Numa Praetorius, Oscar Wilde, André Gide, Jacob Israël de Haan, Jacques d'Adelswärd-Fersen (“l'exilé de Capri”) et les membres anversois de la rédaction du journal Ontwaking (Le Réveil).
Ces deux expositions, d'un intérêt que l'on ne saurait sous estimer, sont organisées en collaboration avec le Fonds Suzan Daniel. Du 27 juillet au 25 août. Vaut le déplacement !
Dans son second recueil Loin du Tumulte (1919), préfacé par Max Elskamp, Paul Neuhuys publia un poème dédié à Georges Eekhoud :
L’Histoire, trop souvent, s’est livrée à la Nuit...
L’Histoire, cette fière et robuste bacchante,
Qui lamentablement, depuis trois ans, enfante
Le monstrueux fœtus, tout sanglant, d’aujourd’hui.
Vous les déshérités, arsouilles et lendores,
Vous, qui n’avez jamais quitté le sol flamand,
Ô mes bons compagnons je vous déclare grands,
Vous que l’abjection léthifère dévore.
Oui, j’ai senti vos cœurs, à mes côtés, surgir;
Se laissant mutiler de leur patrie ardente,
Brutes, si vous voulez, mais brutes émouvantes,
Car rien n’est empoignant comme un voyou martyr.
Je vous invoque ici, citoyen Georges Eekhoud;
C’est à vous que je dois, en ces jours assombris,
D’avoir su pénétrer, d’un regard attendri,
L’héroïsme navrant d’un obscur coude à coude.
Amour du genre humain, généreuse utopie,
Je t’embrasse, en dépit des sanglantes tempêtes;
Ô gueux, c’est parmi vous que naissent les poètes;
Vous avez leur orgueil lyrique de la vie.
Et quand l’Histoire veut rappeler aux despotes,
Le degré le plus bas de servitude humaine,
Elle se sert d’un nom pesant comme une chaîne,
Ce nom qui indigna tous les cœurs: les Ilotes.
Paul NEUHUYS