Le premier tome des Œuvres complètes de Céline Arnauld et Paul Dermée (Paris, Classiques Garnier, Bibliothèque de littérature du XXe siècle, tome 9, 2013, 606 p.) est consacré à Céline Arnauld. Cette « scrupuleuse édition » (dixit Marc Dachy) est établie par l'historien de la littérature Victor Martin-Schmets, éditeur (entre autres) des Œuvres complètes de Henri Vandeputte.
« Il y a beaucoup à sauver et à découvrir dans cette poésie parfois datée mais habitée, œuvre oubliée d'une dadaïste qui refusa le surréalisme » note Marc Dachy. Je lui donne parfaitement raison.
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La lecture de Courrier Dada (dont j'attends déjà avec impatience la prochaine livraison) m'incite à publier quelques notes historiques sur Arnaud et Dermée, qui furent en relation avec Paul Neuhuys et Michel Seuphor.
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Dès 1920 Céline Arnauld prend part aux activités dadaïstes.
Les collaborateurs de la revue 391 (1921). De gauche à droite: au premier rang:Tzara, Céline Arnaud, Picabia, Breton ; au deuxième rang: Péret, Dermée, Soupault, Ribemont-Dessaignes ; au troisième rang : Aragon, Fraenkel, Éluard, Pansaers, Fay.
Le 21 mai 1920, les éditions du Sans Pareil que dirige René Hilsum sont les dépositaires du premier (et unique) numéro de la revue Projecteur, dont. Céline Arnauld signe l'éditorial, « prospectus projecteur » :
Projecteur est une lanterne pour aveugles. Il ne marchande pas ses lumières, elles sont gratuites. Projecteur se moque de tout : argent, gloire et réclame – il inonde de soleil ceux qui vivent dans le froid, dans l'obscurité et dans l'ennui. D'ailleurs, la lumière est aussi produite par une pullulation madréporique dans les espaces célestes.
Elle collabore à la revue Dadaphone, figure parmi les signataires des 23 manifestes du mouvement dadaïste (Littérature no 13, 1920), appose sa signature sur le fameux tableau de Francis Picabia « L'Œil cacodylate » (1921) et participe au « supplément illustré » de 391, « Le Pilhaou-Thibaou » (10 juillet 1921) où Picabia se sépare des Dadaïstes, en particulier de Tzara et de Breton. Il les attaque violemment et dénonce « la médiocrité de leurs idées maintenant conformistes. » Picabia répète que «l’esprit dada n’a vraiment existé qu’entre 1913 et 1918… En voulant se prolonger, Dada s’est enfermé en lui-même… »
Dans le même esprit, Céline Arnauld publie en novembre 1921 un poème dans le fameux numéro 16 (« Dada, sa naissance, sa vie, sa mort. ») de la revue anversoise Ça ira ! Il est recommandé de lire ce poème dans l'optique de ce qui précède...
Surnom
Aumône en jachère momie d'Héliogabale
inaugure la jonque bière
pareille aux jonchaies voilées
par la projection des noyés
assoiffés d'imprévu
La tambour tue l'angélus
L'andante de la voyante
s'en va dans des ballons de fumée
Agenouillée la mélodie
demande grâce aux forains
Si vous vous regardez
comme le violon la sourdine
la miniature de vos cœurs
sera exposée parmi les curiosités
momies du silence et du plain-chant du carrousel
Incoercibles vos tendresses faites d'élucubrations
s'en vont par des chemins de traverse
Le violon évoque des émeutes en broussailles
des rires oubliés au bord des étangs
et la loterie de vos cœurs
crucifiée sur le trèfle porte-bonheur...
Je n'ai pas encore compris
pourquoi dans leurs yeux kaléidoscope des regards caustiques
est mort le dernier reflet humain
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Dans la dernière livraison de Ça ira ! (no20, janvier 1923), Paul Neuhuys consacra un article à Céline Arnauld que je mettrai demain en ligne.
Henri-Floris JESPERS