Le poète, romancier, auteur dramatique et artiste plasticien Marcel van Maele (°Bruges, 10 avril 1931) est décédé hier à Anvers.
En rupture de famille, engagé volontaire dans la guerre de Corée, Van Maele sera prodondément marqué par cette campagne. Son œuvre romanesque et poétique exprime une vision désintégrée du monde et traite volontiers des problématiques politico-sociales. Van Maele clôt la septième partie de son recueil Zwarte gedichten (Poèmes noirs, 1963) par un portrait ironique de lui-même en poète destructeur:
à sa naissance décé-
dé le poète ouvrier d'usine
de peintures franchisseur
du mur du son marcel van maele
il était trop sage pour son
âge et trop vieux pour sa
sagesse est tombé lamentable-
ment dans une fosse à plouf
ses derniers mots furent:
j'en était sûr: nous
devons toujours recommencer.
(Traduction: Kees Snoek)
*
Paul Neuhuys (1897-1984) consacra le septième cahier des Soirées d'Anvers, paru en septembre 1963, à la jeune poésie flamande. Présentant le recueil Ik ben een kannibaal (Je suis un cannibale, 1961) de Van Maele, il constate:
“Heureux les nègres, car le royaume du soleil leur appartient! Zij pikken zonlicht en zwemmen in de zon. (Ils cueillent la clarté et nagent au soleil).
Si Marcel van Maele aspire à cette sauvagerie primitive, c'est qu'il se sent frustré par une civilisation tendue vers l'automatisme, et qui fait de lui un esclave hypercivilisé, een hooghypergeschoold hyperslaaf, pour qui la liberté n'est plus qu'un mythe (vrijheid is steen onder steen onder steen links steen boven steen rechts) ce qui revient à dire que béton vaut mieux que bonté.
Ce recueil, véritable manifeste du nihilisme, par un militant du manioc et du maïs, est écrit dans une langue ultra-synthétique comme il se doit chez un hyperplastiekfabriek-arbeider qui se veut cannibale.
Ce qui lui donne la nostalgie de la forêt vierge, c'est la chaude nuit tropicale entrevue dans la pitié érotique d'un regard: Vuurvrouw kust me ankervast, tandis que les ondes lui apportent les flonflons des professionnels. Ce qui nous vaudra cet alexandrin désenchanté:
Zo komt het dat alleen de liedjeszangers zingen...
Aussi se représente-t-il volontiers nouveau magicien (nieuwe tovenaar) prônant, ce qui tranche tout, le retour linguistique au dialecte kwawandi.”
Femme bûcher sur la terre crépitante
baiser prière ancrée en moi
pour toutes les fleurs et leur semence
mes vêtements sont brûlés à jamais
heureux comme un vase de fleurs chantantes
dans la forêt retentissante
chouca coloré
qui clame le kwawandi.
(Traduction: Paul Neuhuys)
*
“Poésies néerlandaises d'expression belgique”, tel est le thème du numéro 41-42 (octobre 1963) de Phantomas, la 'revue des directeurs' (Théodore Koenig, Joseph Noiret, Marcel & Gabriel Picqueray). Van Maele y figure, en compagnie d' entre autres Hugo Claus, Gust Gils et Hugues C. Pernath.
Tu meurs et vois, toi l'unilatéral, toi l'universel,
toi le tout-en-toi qui te tentacules à fond de train
tandis que les danseurs noirs jubilent (hurlent)
pieds empreints, tu te fends.
Le temps nous darde de ses flèches et fait la ronde
du magicien jusqu'à ce que soudain, main dans la main,
le silence et le calme s'esquivent dans le futur
à l'aperçu
peut-être d'un brin de braise
peut-être d'une maison de coquelicots.
(Traduction: Freddy de Vree)
*
Écrivain d'un stature tout à fait exceptionnelle, esprit libre et profondément original, Marcel fut une figure emblématique de la poésie expérimentale des années 1955-1965. “Il use d'un langage baroque, très souvent insolent et truffé d'associations verbales surprenantes et généralement hermétiques”. (Albert BONTRIDDER, Poésie flamande d'aujourd'hui, Actes Sud, 1986, p. 142).
Kees Snoek, professeur de littérature et de civilisation néerlandaise à l'université de Paris-IV Sorbonne, souligne que dans ses premiers textes, Marcel van Maele “torture son langage et abolit la logique”.Le titre de ses Poèmes noirs n'est pas anodin: “le poète est un magicien noir, un prêtre ou prophète destructeur qui se retourne contre l'ordre établi et contre la pensée rationnelle, ce qui fait de lui un réprouvé”. On pourrait établir des parallèles entre le cheminement et le discours de Van Maele et ceux de la beat generation américaine.
Accepter, c'est tuer graduellement
le désir ardent, c'est briser l'amour
c'est casser sa pipe,
c'est planter un pilori dans une mare de boue,
c'est embrasser
le tremblement
les poids oscillants du temps appliqué.
(Traduction: Kees Snoek)
*
Tout en étant caractérisée par l'invention et la mise en branle d'images autonomes, la poésie de Van Maele met l'accent sur la résistance, sur la désobéissance civile et sur la rébellion. Au fil du temps, le poète restaurera la syntaxe et renoncera à la prolifération de néologismes et d'associations langagières. Mais sa critique de la société n'en restera pas moins mordante.
Frappé de cécité à la fin des années 1980, il n'en restera pas moins actif.
Maintenant, pinson aveugle,
assis sur un mur en béton,
il chante la gloire de son passé.
[…]
Au-delà des désirs lointains de jadis
la moisissure s'écaille en cette résignation.
Ma vision s'écoule avec tapage;
langage d'un tombeau
qu'on ne peut même plus fermer
correctement.
Henri-Floris JESPERS
Medgar Evers te Jackson vermoord / Medgar Evers assassiné à Jackson / Medgar Evers murdered in Jackson, illustrations de Guy Vandenbranden, Dirk Claus, traduction de Freddy De Vree. Sint-Niklaas, Paradox-Press, 1964, trilingue, s.p.
No man’s land, poèmes, traduit du néerlandais par Maddy Buysse. Bruxelles, Éditions des Artistes, 1968, bilingue, 104 p.
'Poèmes' in Septentrion, II-2, 1973.
Nous ne te verrons pas, illuminante paix. Poésie et politique, Orion, 1976.
Poésie flamande d’aujourd’hui, Actes Sud, 1986.
Kees SNOEK, '... The blood jet is poetry. La poésie de Lucienne Stassaert et Marcel Van Maele : thèmes et évolution.' In : Études Germaniques, année 61, no. 4, Octobre – Décembre 2006, p. 579-592.