La danse (de salon) était, avec le jazz et la théosophie, une vraie passion pour Mondrian.
En 1916 déjà, à l’époque de Laren (1), ses amis artistes le surnommaient « de dansende madonna » et il épatait tout le monde par ses pas savants et sa manière de se déplacer, sans mouvements apparents « ..en zonder iets anders te bewegen dan nauwelijks zijn voeten » ( J.Greshoff, cité par Lien Heyting).
Dans son « Trialoog », paru en sept épisodes dans De Stijl (2), Mondian disserte sur la danse dans laquelle les pas s’opposent les uns aux autres et visent finalement une grande unité. Quant au journaliste hollandais qui lui rend visite en 1922, il ne manque pas de noter que, dans l’esprit de Mondrian, des danses comme le tango et le fox-trott diffusent une idée nouvelle de l’équilibre basé sur les contraires (3).
Pendant ces années (1918-1922), Mondrian a écrit énormément, il y a même souvent passé plus de temps qu’à peindre, cherchant notamment à définir et à fonder cette « Nieuwe Beelding », nouvelle vision, nouvelle plastique épurée, qu’il tentera de présenter par un procédé pédagogique, comme cette discussion de trois comparses aux vues opposées, dans son trialogue.
Dans ses goûts de danseur, il évoluera conformément à ses choix « plastiques » : il avait suivi avec assiduité des leçon de tango, mais il s’en détournera peu à peu, irrité par l’élément tragique et sentimental de cette musique.
Mais son goût pour la danse reste intact. Seuphor rapporte que « la danse était son délassement favori. Les visiteurs hollandais le savaient bien. Pour lui faire vraiment plaisir, il fallait le conduire après un bon repas, dans un dancing distingué.
À New-York, âgé de soixante-dix ans, il continuait à danser beaucoup et affectionnait particulièrement la musique la plus nouvelle. » (4)
Ses deux dernières toiles s’intituleront Boogie-Woogie. Mais il a, incontestablement, eu une période tango !
Jean-Marie AENDEKERK
(1) Les exploits de danseur de Mondrian à Laren sont merveilleusement rapportés par Lien HEYTING dans De Wereld in een dorp – Schilders, schrijvers en wereldverbeteraars in Laren en Blaricum 1880-1920, Amsterdam, Meulenhoff, 1994, pp. 230 à 232.
(2) Voir plus précisément De Stijl, 1918, Nr 5, blz. 53.
Dans sa monographie sur Mondrian, Michel Seuphor a fourni une excellente traduction française de l’ensemble du « Trialoog », qui vient de faire l’objet d’une adaptation théatrale, apparemment réussie bien qu’assez statique. (Victory Boogie-Woogie, Theater de Vest, Delft, mars 2009, metteur en scène Gerardjan Rijnders.)
(3) Nieuwe Rotterdamsche Courant, donderdag 23 maart 1922.
(4) Michel SEUPHOR, Mondrian, Paris, Librairie Séguier, nouvelle édition 1987, pp.130-131.