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13 juillet 2009 1 13 /07 /juillet /2009 00:00


Depuis 2006, les éditions Le Cri publient les travaux du CIEL (Centre interuniversitaire d’étude du littéraire : www.ciel-litterature.be) qui rassemble des centres de recherche de l’ULB et de l’Ulg. Leur dernière publication émane d’une thèse portant sur la littérature francophone d’après-guerre (Bibiane FRÉCHÉ, Entre rupture et continuité : le champ littéraire belge après la seconde guerre mondiale (3 septembre 1944-8 octobre 1960) , Bruxelles, ULB : Faculté de Philosophie et Lettres, 2006, 463 p.). L’ouvrage en tant que tel, au format de poche, est bien structuré et écrit dans un langage pédagogique très lisible. Table des matières, bibliographie, index onomastique donnent au lecteur des outils très utiles pour se retrouver dans ce labyrinthe institutionnel. Regrettons par contre quelques accrocs dans l’impression de la publication qui allonge et colle les mots, dû à la mise en forme automatique.

Dans son introduction, Fréché argumente le choix d’étudier l'histoire de la littérature d'après-guerre. Selon elle, il n'existe pratiquement aucun ouvrage qui se soit exclusivement intéressé à l'après-guerre. De plus, cette période se caractérise par une « efflorescence presque inégalée » en raison du nombre de revues et de personnes impliquées dans la vie littéraire. Le contexte politique d’après-guerre est aussi propice au soutien de la littérature par l'instauration de l'État-Providence qui subventionne les arts et les lettres. Enfin, la littérature belge entre 1945 et 1960 se caractérise par des questions esthétiques, politiques et commerciales qui ont perdurées jusqu’à nos jours : le courant néoclassique (une esthétique qui recherche une pureté formelle et un désengagement des réalités sociopolitiques), le déficit de légitimation (débat autour de l'assimilation/dissimilation de la littérature belge par rapport à son alter ego français), l’exiguïté du marché local (ce qui entraîne une domination du marché français, une condition sociale des écrivains précaire et une difficile indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques).

Afin de ne pas omettre un élément-clé de son analyse, Fréché a choisi de structurer sa thèse en épousant la structure de la vie littéraire belge. D'une part, elle reconstitue la hiérarchie des institutions publiques qui ont œuvré pour les lettres. D’autre part, la seconde partie s'attache à l'homme de lettres en tant que tel à travers plusieurs thèmes: choix d'écriture, genre, esthétique, identité nationale, engagement public. Il s'agit de donner un panorama de la vie littéraire, le plus exhaustif possible quant aux acteurs qui l'ont animée et le plus fidèle quant à sa structuration institutionnelle. Le cadre d'étude n'englobe pas la littérature flamande car, selon Fréché, les écrivains francophones entretiennent peu de relations avec leurs homologues du Nord du pays à la Libération et parce que l'après-guerre est marqué par la séparation progressive des pouvoirs culturels.

Les premières années d’après-guerre sont marquées par la répression des inciviques et l’instruction de la population. Les cent premières pages illustrent le combat du Ministère de l’Instruction publique dans sa « croisade pour l’éducation civique » . Chaque étape dans le processus de concrétisation de chaque projet est expliqué en fonction des arguments institutionnels sans commentaire inutile. Après avoir rappelé le rôle du député socialiste Louis Piérard qui s’est battu pour le subventionnement culturel, Fréché a examiné à la loupe les deux grands chantiers qui ont été engagés : le Fonds national de la littérature et le Théâtre national. L’Académie royale de langue et de littérature réussit à garder le contrôle sur le premier chantier en s’occupant de sa gestion et de son Musée de la Littérature. Le projet d’une grande revue littéraire entièrement subsidiée par le fonds n’aboutira pas, privilégiant le saupoudrage de subsides à des revues tels que Le Thyrse, La Revue Nationale, Le Journal des Poètes, Marginales. L’analyse de Fréché est très précise puisque le lecteur a même droit à des analyses quantitatives sur les montants octroyés, le nombre de membres de commission affiliés à telle ou telle idéologie. La politique théâtrale fait l’objet de moins de saupoudrage puisque le Théâtre national se taille la plus grande part du gâteau. Chaque étape institutionnelle, chaque subside sont également analysés, comparés ; ce qui constitue un panorama inédit sur les choix cornéliens auxquels une autorité politique est confrontée. Bien que le budget de l’Instruction publique est resté stationnaire (environ 10 % du budget de l’État), Fréché fait remarquer que la politique des Beaux-Arts et des Lettres s’est réduit progressivement ( de 5,26 % en 1945 à 1,36 % en 1958) au bénéfice de l’enseignement. Les explications de Fréché sont interpellantes. Outre la réorganisation coûteuse de l’enseignement moyen, Fréché lie cette réduction de budget à la guerre froide ! « Les préoccupations culturelles, qui avaient acquis une place prépondérante à la Libération, repassent alors à l’arrière-plan. Le budget militaire monopolise vingt-cinq pour cent » du budget total de l’État.

Mais signalons que ces conclusions restent basées sur des sources parcellaires du Ministère de l’Instruction publique, dont la majorité des archives sont introuvables (p.14). Je signale que les archives du Théâtre national existent ; ce qui aurait pu par exemple constituer une alternative tout à fait louable pour parer à ce vide archivistique.

Face à ces projets fort marqués idéologiquement, les initiatives émanant des structures provinciales, communales, royales ou privées sont les plus intéressantes car elles touchent justement à des projets qui s’avèrent beaucoup plus personnalisés, un homme ou deux étant derrière ces initiatives. Quelques noms connus apparaissent comme animateurs culturels de poids : Roger Bodart, la Reine Elisabeth, Robert Catteau, Georges Rency, Sarah Huysmans, Emile Bernheim, Géo Libbrecht, Franz Hellens,…

La deuxième partie s’intéresse aux « gendelettres » (dixit de Ghelderode), et tout particulièrement à ces hommes qui, au-delà de leur production littéraire, se sont fait remarqués dans la sphère publique.

1.Le genre

Fréché prend parti pour l’étiquette « néo-classique » inventée par Marc Quagebeur et Roger Foulon (p. 155), pour définir la majorité des écrits d’après guerre qui « refusent que des facteurs extra-littéraires déterminent la littérature. (…) ils rejettent la mode et le succès commercial. Ils prônent plutôt un esthétisme désintéressé, gage d’une beauté durable. Pour eux, la valeur littéraire se mesure à son universalisme et à son intemporalité » ( p. 155). Selon Fréché, cette esthétique a été préparée durant la seconde guerre mondiale (cf. Le retour à l'ordre de Virginie Devillez) et trouve ses germes dans les préceptes du Groupe du Lundi (1936). Le « néoclassique » est dès lors assimilé à toute une série de clichés droitiers qui lui donnent une connotation négative. À côté du néoclassique, Fréché décrit avec détail toutes les initiatives mises en place pour promouvoir la poésie, des multiples manifestations du Journal des Poètes jusqu’à la Biennale internationale de Poésie d’Arthur Haulot. Enfin, Fréché évoque brièvement d’autres courants comme l’hyperclassicisme poétique, le réalisme magique, le roman policier, la littérature de jeunesse, la bande dessinée. Relevons qu’affirmer que la bande dessinée avant-guerre est « plutôt dominée par la bande dessinée américaine » est trop caricatural;que Fernand Dineur est l’inventeur de Tif et Tondu et non Will; qu’il n’y jamais a eu un « studio » Jijé mais plutôt l’hébergement des disciples de Jijé à Waterloo.

2.Littérature, identité et territoire

La deuxième approche s'attache à l’écrivain par rapport à la société, à l’identité belge et à son engagement dans la sphère publique ou politique. La question de l’identité belge est circonscrite par le débat entre les partisans d’une littérature française de Belgique (Manifeste du Groupe du Lundi) et ceux qui plaident en faveur d’une littérature belge d’expression française, thèse toujours encore actuellement soutenue par la Communauté française de Belgique.

3.L’homme public

La guerre a marqué les écrivains et un antagonisme fait clairement surface. Dans le camp des écrivains patriotes, citons Maurice Gauchez, Georges-Marie Matthijs, Paul Février, Géo Libbrecht, Arthur Haulot, Albert Ayguesparse, Roger Bodart. Le Thyrse et La Renaissance d’Occident peuvent s’intégrer dans cette logique. D’autre part, les collabos ou ceux « qui ont été inquiétés, à des degrés divers, pour les relations qu’ils ont entretenues avec les milieux de la collaboration intellectuelle » (p.244). Citons Marie Gevers, Evelyne Pollet, Henri Davignon ou ceux qui ont rejoint le journal Le Pan ( Ivan du Monceau de Bergendael, Robert Poulet, Paul Jamin, Louis Carette, Oscar Van Godtsenhoven, Baudouin van den Branden de Reeth, Georges Marlier). Au niveau strictement politique, il apparaît clairement une opposition entre le pilier catholique qui occupe pratiquement tous les postes d’institutions littéraires face au pilier socialiste qui peut se reposer sur des structures de solidarité socialistes (Synthèse, Association socialiste des écrivains et des artistes). L’absence du pilier libéral en raison d’une structure plus diffuse est une explication évasive, qui mérite un approfondissement de la question. Le surréalisme, quant à lui, se retrouve dans ce chapitre et est classé dans la section gauche littéraire et la sous-section « avant-gardes et communisme » ; ce qui est assez réducteur tout en accordant une place centrale à Christian Dotremont, l’homme qui fait la jonction entre le surréalisme, le surréalisme-révolutionnaire et Cobra.

Paul Neuhuys trouve sa place dans l’ouvrage en tant que protecteur d’une section provinciale des jeunesses littéraires de Belgique, comme président de la Fédération des écrivains flamands d’expression française ou comme rassembleur d’un petit groupe d’irréductibles qui végètent sur les restes de l’obscure revue d’avant-garde Ça ira...

Robin DE SALLE

Bibiane FRÉCHÉ, Littérature et société en Belgique francophone (1944-1960), Bruxelles, éd. Le Cri/ CIEL – ULB – Ulg, mars 2009, 381 p., 23 €.

 

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