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17 mai 2009 7 17 /05 /mai /2009 22:27

Nous avons vu que les savants reconnus n’hésitent pas à s’approprier et à exploiter à leur compte les découvertes d’honnêtes mais obscurs amateurs.

Mais il n'y a pas que les savants... On trouvera chez Tapon-Fougas, persécuté par la gent littéraire qui ne recule devant aucun moyen, cette préoccupation de “tirages formidables mais détournés qui enrichissent et illustrent ses adversaires.”

Ce n'était pas là, tant s'en faut, la seule obsession de François-Claude Tapon, dit Francisque Tapon-Fougas (°1810 - + peu après 1882), le “Thalès de Milet” ou encore le “Lamartine de l'Auvergne”. Il affirme qu'il “est constant qu'un large système de persécution au moyen de l'électricité, du galvanisme et de la chimie, est organisé par des hommes puissants pour porter atteinte à la liberté humaine, en paralysant, et détruisant à la longue, la faculté de penser et d'écrire de certains hommes... prétendus dangereux... et qui le sont peut être un peu... pour les puissants personnages.”

Les démocrates et les proscrits sont particulièrement visés. Victor Hugo, en exil, dit-il, est “empoisonné atmosphériquement” et il se dit lui-même menacé à tout instant par la vapeur de sulfure de carbone. “Cet agent chimique, explique-t-il, est un de ceux les plus généralement employés par les gens de l’Église chargés d’étouffer la pensée des hommes soi-disant dangereux pour la pieuse boutique.”

*

Il ne s’agit pas ici de conseiller, mais de donner des injonctions à lire... Citons donc cette belle page du Blavier, qui illustre bien sa richesse et sa finesse :

Tapon-Fougas est peut-être un cas unique — du moins parmi nos auteurs — d’une compensation, au fond bénéfique, d’un délire de persécution avec hallucinations cénesthésiques diverses […] en un délire euphorique d’interprétation et de grandeur littéraire : il se prend pour un grand dramaturge réformateur (indice de sa croyance dans le pouvoir de la littérature), un grand poète satirique et moraliste, un pamphlétaire et un publiciste redouté. Il tire orgueil de l’abondance de sa production, de sa puissance d’improvisation, dont il tient statistique. Tendances interprétatives : il se reconnaît dans des personnages littéraires célèbres : Thénardier, le colonel Fougas, etc.

L’évolution du délire semble se situer à l’époque où il publie Sur la mort d’Eugène Sue et Les Anti-Misérables. On ne trouve plus dès lors d’allusions aux batteries électro-galvaniques ni aux vapeurs jésuitico-ammoniacales. C’est maintenant la gent littéraire qui, jalouse, le persécute. On corrompt ses typographes […] pour dénaturer ses ouvrages et l’empêcher d’acquérir la gloire à laquelle il a droit. On le pille et s’enrichit sur son dos à l’étranger. […]. Il manifeste également le besoin de participer activement aux événements historiques ; il est constamment candidat, pas seulement à l’Académie, et fait état dans ses avertissements au Pouvoir de ses dons de prescience, qui lui permettent entre autres de prédire l’anéantissement de ses ennemis”.

(À propos de Tapon-Fougas, “Poète d’État”, cf. également André BLAVIER, Occupe-toi d’Homélies, Bruxelles, Labor, 1991.)

Henri-Floris JESPERS

(à suivre)


André Blavier, Les fous littéraires, Paris, Éditions des Cendres, 2000, 1152 p., 68,6 €.

Cf les blogue du 19 février 2008, du 16 et du 17 mai 2009.

 

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