“Fous littéraires” semble bien être devenu une appellation strictement contrôlée.
Ne sont retenus que les auteurs qui ont publié leurs extravagances, les “fous imprimés” (que les psychiatres citent d’ailleurs rarement), paranoïaques, paraphrènes et apparentés, mais apparemment sains d’esprit (en dehors de leur “dada’ exclusif), qui ne seront éventuellement internés que tardivement, et qui “ont tout le temps de mûrir une œuvre, puis de s’évertuer à la publier”, et qui “conservent suffisamment d’adaptation sociale et de liberté de mouvement pour affronter les multiples soucis de l’édition, évidemment à compte d’auteur”. Et ceci implique “une autre nécessité, d’ordre économique : le fou littéraire sera presque toujours un bourgeois aisé (…) qui se ruinera s’il le faut à ce jeu.”
Blavier souligne : “les mystiques sont quasi par principe exclus de nos travaux, poussassent-ils le mysticisme jusqu’à l’excentricité la plus marquée”. Il retient la formule de Charles Nodier, citée par Chambernac dans Les Enfants du limon (1938) : “Fou avéré qui n’a pas eu la gloire de faire secte”, et à laquelle le proviseur/pauvriseur ajoute :
“Ce dernier point est un excellent critérium. Quiconque a eu des disciples ne saurait être considéré comme un fou littéraire. Celui-ci doit être resté un inconnu, aussi éliminerons-nous de nos listes primo tous ceux qui ont eu des disciples ou qui ont été reconnus comme ayant une valeur quelconque pour la critique ou le public ou même une toute petite partie du public ; secundo tous les mystiques, visionnaires, théosophistes et caetera dont les élucubrations peuvent se rattacher à d’autres qui celles-là sont plus ou moins admises et que la prudence nous conseille de ne pas traiter de folie à la légère…”
Les “fous littéraires” forment donc bien une catégorie à part, beaucoup plus restreinte que celle des sots littéraires…
Clôturant son échantillonnage du délire manuscrit, Blavier s’attache plus particulièrement au langage “l’un des éléments les plus subtils du psychisme humain”, soulignant qu’il “semble aller de soi” que sa fonction est “comme le baromètre ou le miroir des troubles de ce psychisme. […] Pour le malade, traduire sa pensée reviendra fréquemment à trahir sa ‘différence’…”
Et de souligner :
“Des malades moins atteints peuvent ainsi prétendre à la prose. La règle métrique (peu de vers-libristes parmi eux) est comme le corset, l’orthopédie de l’expression. Plus analytique, la prose implique un minimum de contrôle et de liens logiques, tandis que le poète dévide au-to-ma-ti-que-ment la pelote de ses alexandrins ou de ses octosyllabes, qui sont les mètres les plus employés. Un aliéné criminel écrit au médecin-chef :
Je vous écris en vers, n’en soyez pas choqué
En prose je ne sais exprimer ma pensée. ”
Henri-Floris JESPERS
(à suivre)
André Blavier, Les fous littéraires, Paris, Éditions des Cendres, 2000, 1152 p., (68,6 €).
Cf le blogue du 19 février 2008.