Clément Pansaers est le seul représentant de Dada en Belgique et il n’est guère probable qu’on lui en sache jamais gré chez nous. Pourtant nul aussi aisément que Clément Pansaers n’arrive à laisser flotter son esprit à la périphérie du monde raisonnable, dans les régions difficilement accessibles de l’absurde.
Le Pan-Pan au cul du Nu Nègre est la première tentative de Clément Pansaers. Ce titre peut vouloir signifier le « Nu Nègre » suivi du « Pan-Pan », mais je crois que Clément Pansaers appelle « pan-pan » un revolver. Alors ? Ce serait différent. Clément Pansaers écoute tous les bruits discordants qui nous environnent aujourd’hui. Il semble avoir fait le tour de toutes les idées comme en témoignent certaines phrases : (« Une muselière au rhéteur de la surbrute » etc.) et il donne finalement l’impression d’un phonographe désorganisé qui, arrivé au bout du disque, se met à battre la breloque. Clément Pansaers abuse des terminologies savantes. On songe par moment à l’écolier limousin de Rabelais mais il s’en justifie en disant : « Un chimiste raté vaut le philosophe — qui en évaporant des vocables découvre des principes. »
Dans Bar Nicanor, Clément Pansaers poursuit la même tendance mais à un degré encore plus violent. Clément Pansaers se lance dans les voluptés fortes. Dans la pièce intitulée Aéro il bouleverse les quatre points cardinaux. Il roule dans le vide, exécute des « virages en balançoire ». Les oreilles lui tintent à force de « brouter les bruits bruts en gammes interplanétaires ». Il esquinte son moteur pour en tirer le plus de rendement possible.
L’ivresse lui procurera les mêmes sensations hétérogènes. Il porte les lèvres à tous les électuaires et il scrute sa mi-ébriété pour mettre à nu la parcelle d’immatérialité qui palpite en lui. Il vante le caractère éminemment cosmopolite de la saoulographie. Résoudre l’existence c’est, selon lui, « se fiche une cuite incommensurable » jusqu’à ce que les murs se bousculent tandis que le principe de l’être poursuit « la course bigarrée vers la qualité pure, dénominateur infini ramenant à zéro pan-0. »
Des sensations perverties parcourent les zones érogènes. Il saccage la femme comme le ferait un enfant d’un jouet, par dépit de n’en point recevoir de plus merveilleux encore. Clément Pansaers fait songer à un des Esseintes répondant aux plus folles audaces de l’homme nouveau.
Clément Pansaers et son fils Ananga, 1921
Dans L’Apologie de la paresse, un ébranlement morbide semble résulter de ce constant effort d’intervention mentale. Des secousses soudaines comme des sonneries électriques crépitent dans sa tête. Clément Pansaers a été tour à tour « un dompteur de tribades », « un paria ès démolitions », « un violateur de l’identité humaine ».
Les hommes lui apparaissent comme des insexués. Avec une indifférence érasmienne il fait l’apologie de la paresse. Qu’est-ce que le cynisme, sinon la paresse ? La paresse est la condition souveraine de la raison humaine.
C’est fâcheux
mon encéphale est désaccordé.
Impossible de remettre mon entendement
au diapason des volitions cosmiques à la mode.
Il se résigne à sacrifier à la paresse :
Je te révolte ?
Toute révolte avorte.
À quoi bon s’insurger ? Faisons donc comme les autres. Au lieu de faire la révolution, faisons la grève générale. Tout est là. La paresse d’ailleurs s’étend jusqu’aux premiers éléments terrestres.
Morbidesse spasmodique
La mer et la terre
s’entrepénètrent
et la commotion est comateuse
« Fainéante » se dit Clément Pansaers en proie à une lassitude organique. Clément Pansaers est un homme moderne dans ce que cette expression peut atteindre de plus excessif.
Paul NEUHUYS