Louis Aragon n’a pas abjuré tout scrupule d’art. Il semble parfois même demeuré attaché aux anciennes formes prosodiques. Louis Aragon a néanmoins trouvé son salut en Dada. Il intitule son recueil Feu de Joie. C’est un feu de joie où il sacrifie toutes les vaines acquisitions de l’esprit pour un ordre de choses nouveau qui surgira des absurdes suggestions de la conscience. La couleur neutre — bitume ou réséda — n’est pas la couleur dominante chez Aragon. Nous y trouvons même des couleurs vives que les dadas n’affectionnent que médiocrement en général.
Aragon, dans une pièce intitulée Secousse, nous indique comment s’est produite une mutation brusque dans l’orientation de sa pensée :
BROUF
Fuite à jamais de l’amertume
Les prés magnifiques volants peints de frais tournent
Champs qui chancellent
Le point mort
Ma tête tinte et tant de crécelles
Mon cœur est en morceaux le paysage en miettes
Le poète se souvient de son adolescence, de ces années contrariées par le latin et l’algèbre, et il résumera sa jeunesse dans ce poème : Vie de Jean-Baptiste A.
ROSA la rose et ce goût d’encre ô mon enfance
Calculez Cos &
en fonction de
tg a/2
Ma jeunesse Apéro qu’à peine ont aperçu
les glaces d’un café lasses de tant de mouches
Jeunesse et je n’ai pas baisé toutes les bouches
Le premier arrivé au fond du corridor
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 MORT
Une ombre au milieu du soleil dort, c’est l’œil.
Mais maintenant que le poète s’est affranchi des étroites conventions humaines, un espoir flambe, un feu de joie à la lueur duquel il entrevoit des constructions neuves, des transformations salutaires.
Alors se lèveront les poneys
les jeunes gens
en bande par la main par les villes
Louis Aragon est parmi les dadas le seul qui semble préparer un terrain de conciliation entre les suggestions de la conscience et les exigences de la raison.
Paul NEUHUYS