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14 août 2008 4 14 /08 /août /2008 05:59

Septentrion publie le sémillant article qu’Alain Crugten, professeur émérite de littératures slaves à l’Université Libre de Bruxelles, consacre au vingt-cinquième anniversaire de la parution du roman Het Verdriet van België qui coïncide avec le décès de Hugo Claus.

Dès les premiers mois après la parution du Chagrin, il apparut que c’était un incontestable succès de librairie, non seulement en France, en Suisse et au Canada, où le public semblait surtout charmé par le caractère exotique inattendu, mais également en Belgique. L’original avait été un best-seller immédiat, un peu plus aux Pays-Bas qu’en Flandre (vingt-cinq ans après, tous tirages confondus, on doit atteindre à peu près 400 000 exemplaires). Malgré les échos nombreux, parfois à parfum de scandale mais le plus souvent enthousiastes, suscités par le Verdriet en Flandre, ce phénomène était passé totalement inaperçu aux yeux du public francophone de Belgique, preuve, s’il en était encore besoin, de l’indifférence en Belgique francophone à l’égard de la culture flamande. Cependant, lorsque parut la traduction française, les lecteurs francophones lui firent un accueil sans précédent, le livre de Claus devint en quelques mois à peine le roman le plus vendu de toute l’histoire de la librairie belge, plus de 25 000 exemplaires, sur ce marché étroit où, d’habitude, le chiffre de 5 000 est considéré comme un grand succès.

Ce record de vente en librairie constitue, à mon humble avis, un phénomène exceptionnel et peut-être symbolique. Vu l’âpreté et la mesquinerie des luttes linguistiques en Belgique, on peut apprécier à sa juste valeur le fait que ce soit le plus grand écrivain flamand de notre temps qui ait ainsi passionné les francophones, pourtant toujours si prompts à dénigrer ce qui se fait dans le nord du pays.

Justifiant sa stratégie de traduction, Alain van Crugten épingle en passant l’incompréhension de l’éditeur et de sa correctrice.

Les plus épatantes de ses retouches concernaient les soliloques de la grand-mère du héros, Mèreke. Ma « correctrice » prétendait mettre dans la bouche de cette brave femme inculte des imparfaits du subjonctif ! Il fallut donc que j’eusse bien de la patience pour avaler ces parisiennes couleuvres.

J’ai débarqué chez Claus avec ce texte amendé à la sauce française, il l’a feuilleté et, au bout d’une page de lecture, il m’a dit : « Je sens que je ne vais pas aimer cette dame. » Sans poursuivre la relecture commune plus avant, nous sommes convenus de concéder aux pauvres lecteurs français, prétendument trop bêtes pour les comprendre, la suppression d’une quantité de belgicismes, plus ou moins la moitié. Je me suis donc tapé la recorrection de mille pages de corrections indues, un mois de boulot. Puis, j’ai débarqué chez Julliard, mon manuscrit sous le bras et, dans l’autre main, un petit paquet qui sortait de chez Godiva ou Neuhaus. Je l’ai tendu à la zélée correctrice en disant : »Ceci n’est pas une boîte de chocolats, c’est un ballotin de pralines. »

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Paul Neuhuys se plaisait à souligner que Montaigne se moquait « de la correction pimbêche du français écrit et de tout ce qu’on appelle aujourd’hui assez sinistrement l’écriture ».

Comme eût dit Montaigne

Saperdeboere     Sabre de bois

le gascon y parviendra

si le français n’y peut suffire

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Het verdriet van België a fait l’objet d’un cahier anniversaire du quotidien flamand De Standaard. Le critique Marc Reynebeau y décrétait avec aplomb que l’utilisation de la langue par Claus rend le roman « à proprement parler intraduisible »... Van Crugten le remet laconiquement à sa place :

Or, toute personne quelque peu au courant du fait littéraire sait que chaque texte est à la fois traduisible et impossible à traduire ; cela fait depuis longtemps l’objet de colloques de savants « traductologues » et je ne vais pas vous ennuyer ici avec un exposé linguistique ou polémique.

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Signalons encore « Les nouveaux trouvères: les poètes municipaux en Flandre et aux Pays-Bas » (Philip Hoorne) ; « La clef du monologue théâtral: la poussée d’un genre problématique » (Jos Nijhof), et un dossier consacré à Marguerite Yourcenar. Enfin, dans la rubrique « actualités », des notes de lecture entre autres à propos de l’enseignement du flamand ou du néerlandais dans le nord de la France; des éditions Actes Sud; de la traduction du roman de Kader Abdolah, Het huis van de moskee, parue chez Gallimard; du roman de Liliane Wouters, Paysage flamand avec nonnes (Gallimard); de la carrière d’Ivo van Hove, qui « électrocuta » le festival d’Avignon avec les tragédies romaines de Shakespeare.

Enfin, Septentrion signale que Lidewij Edelkoort, directrice et présidente du conseil d’administration de la Design Academy Eindhoven a été faite chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres, et que la choréographe flamande Anne Teresa De Keersmaeker a été élevée au rang de commandeur, la plus haute distinction dans cet ordre.

Henri-Floris JESPERS

 
Septentrion, revue trimestrielle, 37e année, 2008, no 2, 112 p., ill., 10 €.

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Hugo CLAUS, Le Chagrin des Belges (Paris, Julliard, 1985; Paris, Seuil, coll. "Points", 2003)

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