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3 mai 2008 6 03 /05 /mai /2008 22:03

Le poète Paul van Ostaijen (1896-1928) est sans conteste la figure la plus marquante des lettres néerlandaises de Belgique entre les deux guerres. Il introduit dans la poésie l’unanimisme français avec un premier recueil, Music-hall,  en 1916, et l’expressionnisme humanitaire allemand avec Het Sienjaal (Le Signal), en 1918. 

 Entré comme commis à l’administration de la Ville d’Anvers en mars 1914, il y affiche, à partir de 1916, sous l’occupation allemande, ses convictions politiques. Le mouvement flamand s’était scindé en deux fractions antagonistes. Les passivistes, d’une part, très largement majoritaires, comptaient mettre en veilleuse les revendications flamandes pendant la durée de la guerre. Les activistes, quant à eux, entendaient au contraire les faire progresser, fût-ce avec l’appui de l’occupant. À l’instar de la quasi totalité des écrivains flamands de sa génération, Van Ostaijen choisit l’activisme. Son rôle politique est pratiquement inexistant, mais il jouit d’une solide réputation auprès des étudiants.

Tout comme celles de Clément Pansaers, exprimées dans sa revue Résurrection en 1917-18, les convictions de Van Ostaijen sont conforme à la politique allemande qui flamandise l’université de Gand, dont les cours reprennent le 24 octobre 1916, et qui décrète la séparation administrative de la Flandre et de la Wallonie le 21 mars 1917. En janvier 1918 Van Ostaijen est condamné à trois mois de prison ferme pour avoir injurié le cardinal Mercier lors d’une manifestation. Craignant des poursuites à cause de sa collaboration à la presse activiste, il quitte Anvers en octobre 1918 pour s’installer à Berlin, où il fréquente les peintres Fritz Stuckenberg, Lyonel Feyninger, Arnold Topp, Heinrich Campendonck ainsi que Georg Muche.

Confronté à la misère et au climat pré-révolutionnaire de l’époque, marqué par la répression de l’insurrection spartakiste, il rompt avec l’idéalisme naïf et grandiloquent de la poésie « humanitaro-expressionniste ». Entre 1918 et 1921, il écrit De Feesten van angst en pijn (Les fêtes de l’angoisse et de la douleur). Ce recueil, qui ne paraîtra qu’après sa mort, est un véritable règlement de compte avec sa poésie antérieure. En 1920 et 1921, il compose Bezette stad (Ville occupée), œuvre complexe et d’une grande rigueur, dans laquelle il développe une typographie rythmique toute personnelle. Hansjürgen Bulkowski, le traducteur allemand de Bezette stad (Besetzte Stadt, München, 1991), souligne que Van Ostaijen, grand amateur de cinéma, est l’auteur du seul scénario issu du groupe dada berlinois, De bankroet-jazz (Le Jazz-Banqueroute, repris dans Le Dada pour cochons), écrit la même année, et qui ne sera publié qu’en 1954. 

Bezette stad paraît à Anvers en avril 1921. Quelques semaines plus tard, à la mi-mai, Van Ostaijen retourne dans sa ville natale. Entre-temps, il avait été condamné in absentia à huit mois de prison pour sa collaboration au quotidien activiste Antwerpsche Courant. Le 7 juin, il se présente devant le tribunal. Le 15 juillet, il bénéficie d’une remise de peine dans l’affaire du cardinal Mercier. Durant son service militaire dans les troupes d’occupation belges en Allemagne (décembre 1921-décembre 1922), il est définitivement mis hors cause dans l’affaire du Antwerpsche Courant.

Au retour de son service militaire, il s’installe à Anvers comme marchand d’objets d’art en chambre avant de s’associer avec Geert Van Bruaene à la direction de la galerie bruxelloise La Vierge Poupine, d’octobre 1925 à mars 1926. Amateur d’art averti, il publie des dissertations critiques et théoriques dans Valori Plastici, Das Kunstblatt ou encore Sélection. Outre des gravures anciennes, de Lucas van Leyden et de Brueghel en particulier, ainsi que des estampes japonaises, il collectionne des peintures de Heinrich Campendonck, Frits van den Berghe, Juan Miro, René Magritte, Paul Joostens et Floris Jespers, des dessins, des bois et des eaux-fortes de Braque, de Feininger et de Juan Gris. Il achète des peintures à Irène Lagut, fréquente Max Ernst, dont il acquiert des dessins. Il vend une toile du peintre allemand à Tristan Tzara, achète un Juan Gris à Éluard et négocie l’achat d’un Picasso de la période bleue. . Van Ostaijen publie des grotesques :  De Trust der Vaderlandsliefde (Le trust du patriotisme) en 1925, illustré Arnold Topp, et Het Bordeel van Ika Loch (Le bordel d’Ika Loch) en 1926, illustré par René Magritte.  A la même époque, il se lie d’amitié avec Edgar du Perron, fréquente le groupe proto-surréaliste bruxellois et collabore à Marie. Journal bimensuel pour la belle jeunesse édité par E. L. T. Mesens.

Enfin, il définit sa poétique dans un texte capital en 1927 : Gebruiksaanwijzing der lyriek (Mode d’emploi du lyrisme : « On ne peut oublier que notre but est d’atteindre à une forme de poème qui maintient complètement et de la manière la plus réelle le processus qui va de l’émotion au poème. Le processus constitue pour nous, le poème. »

Dans un recueil de ses poèmes écrits entre 1920 et 1928, Eerste boek van Schmoll (Premier livre de Schmoll) paru après sa mort, Paul van Ostaijen manifeste une poésie « expressionniste organique », une « poésie pure », notion qu’il défend bien avant qu’Henri Bremond ne la formule en 1926 : « « Un poème qui est pur porte en soi comme l’expression de l’extase, les causalités de son développement ; il les porte en soi, exclusivement en soi. »

Miné par la tuberculose, il quitte Anvers le 6 septembre 1927 pour un sanatorium privé à Miavoye-Anthée, dans la province de Namur, et décède le 18 mars 1928, à l’âge de 32 ans.

Henri-Floris JESPERS

 

Ville occupée (Bezette stad, 1921), traduit du néerlandais par Willy Devos, nouvelle typographie de Marc Herman. [Anvers], Éditions de « Antwerpen 1993 », 1993, 152 p.

Poèmes, traduit du néerlandais et présenté par Henry Fagne. [Bruxelles], Éditions Henry Fagne, « Poètes néerlandais », 1967, 16 p.

Nomenclature. Poèmes 1916-1928, traduit du néerlandais et présenté par Henri Deluy. [Tours], Éditions Farrago, 2001, bilingue, 96 p.

Le Dada pour cochons, Paris, Textuel, 2003. Traduction par Jan Mysjkin et Pierre Gallissaires.

&

Etienne Schoonhoven, Paul Van Ostaijen. Introduction à sa poétique, avec un choix de poèmes, [Anvers], Éditions des Cahiers 333, 1951, 144 p.

Paul Hadermann, « Van Ostaijen et Apollinaire », in Septentrion VIII, 1, 1979, pp. 38-50.

Paul Hadermann, « Un pionnier de l’avant-garde en Flandre : Paul Van Ostaijen », in Septentrion XV, 3, 1986, pp. 25-29.

Thomas Vaessens, « Un “programme double et contrastif” pour la poésie. Aspects de la poétique de Paul Van Ostaijen », in Études germaniques XXXXIX, 4, 1994, pp. 429-442.

Henri-Floris Jespers, « Neuhuys et Van Ostaijen: rencontres manquées et affinités », in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 17, 1er trimestre 2004, pp. 3-24.

Henri-Floris Jespers, « Inédit : À propos d’une « lettre ouverte » à Paul Van Ostaijen menacé d’une correction », in Bulletin de la Fondation Ça ira, no 17, 1er trimestre 2004, pp. 25-44.

Henri-Floris Jespers, « Paul van Ostaijen ; profession de foi poétique », in Connexion, no 2, décembre 2006, p. 20.

 

 

 

 

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