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20 avril 2008 7 20 /04 /avril /2008 00:47










Chacun éprouve le même drame : il ne sait au juste qui il pourrait être. Parfois, il décide qu'il a trouvé. Il se met une identité : une camisole de force. Un uniforme d'amiral : ça finit par s'incruster sous la peau.

Alain BOSQUET, Interview 70, Paris, Éditions du Rocher, 2001, p. 13.

 

Dans sa somptueuse préface au nouveau recueil d’Alain Germoz (°1920), La sandale d’Empédocle, Werner Lambersy reconnaît avoir envie de parler du poète

avec l’intime conviction d’un jury le condamnant pour attentat au conformisme, pour comportement déviant et pour coups et blessures volontaires avec intention de donner la mort au crétinisme ambiant, au sectarisme littéraire et aux racismes divers [...].

Curieuse rencontre. La sandale d’Empédocle est également le titre d’un long poème de l’anthropologue algérien Habib Tengour (°Mostaganem, 1947), paru en 1993 dans la revue Po&sie[1] et repris dans le recueil États de chose suivi de Fatras et La Sandale d’Empédocle (2003).

Selon Nietzsche, Empédocle (entre 484 et 424 av. J.-C.), qui se jeta dans les fournaises de l’Etna, cette colonne du ciel, est « la figure la plus bariolée de la philosophie ancienne ». Il fut certes le plus excentrique des présocratiques.

Volonté de se tailler une réputation définitive par une disparition énigmatique ? La doxographie rapporte d’autres lectures, raillant une mort héroïque, calculée ou accidentelle. Quoi qu’il en soit les sandales d’Empédocle comme les souliers de Van Gogh ont frappé les imaginations et suscité nombre de commentaires, magnifiants ou dépréciatifs selon le cas.

À propos du poème de Tengour, qu’elle qualifie de « questionnement sur l’identité algérienne », Regina Keil-Sagawe constate :

Une sandale, une empreinte, une trace – voilà ce qui reste, quelques fragments à part, d’Empédocle.[2]

Et c’est bien là, semble-t-il, le sens que Germoz, qui se complaît dans le luxe du fragmentaire, attache à cette sandale qui fit scandale. Dans le poème qui donne son titre au recueil, il évoque

Le vent du large qui soulève la poussière

De ceux qui laissent des traces

Sur un arpent désert

et conseille d’apporter la sandale d’Empédocle

Au cordonnier du coin

Ou à ce cireur de chaussures

Qui te guette au passage à Rio

À Marrakech peut-être

(La sandale d’Empédocle, p. 18)

Pour Germoz, « tout homme n’est qu’une hypothèse ».

Même pour soi, les apparences sont trompeuses. L’air que je me donne... Qui ? ²            Moi ? Lequel ? [3]

Quand je m’écoute parler, j’ai envie de me contredire.[4]

 

Tentative souvent avouée, mais parfois insidieuse, de cerner ce phénomène insaisissable que l’on nomme « identité », l’œuvre de Germoz aboutit en quelque sorte à un non-lieu.

Se retirer

A pas feutrés

Libérer

Le rire sous cape

Se réserver

L’ultime éclat

Le grand écart

D’un sourire

Un grand éclat

De rire

(p. 54)

 

L’identité ne peut être que culturelle et liée à l’enfance : le biotope, les conditions de vie et l’entourage.

J’en ai gardé des nostalgies typiquement anversoises qui prennent racine dans les années vingt. L’importance de la rue, son spectacle quotidien, gommé à jamais ; l’allumeur de réverbères qui s’amenait à la tombée du soir, les petits commerces ambulants (le rémouleur, la vendeuse de moules, la chiffonnière, etc.), les servantes et femmes de ménage qui dès le jeudi, surtout le vendredi et  encore le samedi matin, nettoyaient le trottoir à grandes eaux, le marché au poisson avec ses matronnes (qui maniaient avec verve la métaphore pour exprimer leur mépris de la clien-tèle trop chic) dont les formes rubéniennes évoquaient les chevaux des nations, rubéniens jusque dans leur crottin. Ces chevaux placides et puissants, surtout visibles au port, ont quitté la scène, sans doute en même temps que l’allumeur de réverbère. Tous les hommes de métier étaient reconnaissables, le jeans n’ayant pas encore conquis la planète. Chaque dimanche, harmonies ou fanfares défilaient ou occupaient le kiosque derrière mon coin. Vu d’aujourd’hui, cela fait folklore et province. Ces souvenirs jouent sur la sensibilité. Comme le parler anversois, vulgaire mais très coloré. Comme tout Flamand qui se respecte, j’use du néerlandais dans les circonstances de la vie sans me poser de question et je suis particulièrement heureux lorsque je peux m’exprimer en anversois, dialecte dont la saveur excite mes sens. Il n’empêche que l’identité culturelle est tout autre chose.

Voulant bien concéder que joue un contexte politique ou idéologique, social aussi, historique également, Germoz souligne toutefois que l’identité culturelle, quant à elle, se compose d’éléments plus solides. Et là interviennent les lectures, toutes les lectures.

Il se peut que l’enfant mis à la sauce Vandersteen n’ait pas, n’acquière pas les mêmes goûts, les mêmes réactions (formation et déformation), le même genre de curiosité et de psychologie que l’amateur d’Hergé.

Je suis d’avant. J’ai donc pu aiguiser mon non-conformisme en suivant les aventures des

Pieds Nickelés (Louis Forton), en rêvant d’Amérique avec Zig et Puce (Alain Saint-Ogan), en découvrant les premiers Mickey et enfin l’âge d’or de la B.D. américaine.

De la vraie lecture pour enfants, on ne peut croire que la lecture de Dick Trom et de Toine Culot, constituera les mêmes assises que les héros de Jules Verne, Edmond About, Alexandre Dumas, Ponson du Terrail, Carwood, Karl May ou Constant de Kinder, mon grand-père.

La référence explicite de Germoz à la bande dessinée n’est pas gratuite. N’est-il pas l’auteur, avec son cousin Guy Vaes, d’une BD demeurée inédite ? Et ne sont-ils pas tous deux jusqu’aujourd’hui grands amateurs, non seulement de BD, mais également de romans policiers ? Il y a là une idiosyncrasie tout anglo-saxonne qui fait fi des clivages et des hiérarchies littéraires et artistiques, qui ne peut d’ailleurs surprendre chez ces deux grands amateurs de littérature anglaise et américaine.

Henri-Floris JESPERS



[1] No 64, Paris, Belin, pp. 77-87.

[2] Regina KEILl-SAGAWE, “Écrire comme si je pouvais mourir demain” - le poète-ethnologue Habib Tengour. In Études littéraires maghrébines, no 15 (1997), Paris-Rabat-Tunis, 1997, [Bulletin de Liaison de la CICLIM – Coordina-tion internationale des Chercheurs sur les littératures maghrébines], pp. 7-11.

[3] Alain GERMOZ, L’ombre et le masque suivi de Apologie de Caïn, Anvers, Archipel Édition, 2003, p. 19.

[4] Ib., p. 20.

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