Je m’appelle Astrophe et je suis un chat. Nous sommes tout pour tous et rien pour personne. Vous êtes mes chats quoique ne les étant pas et je ne suis pas votre homme. Tristan Tzara aussi était un chat. Il vivait dans un chapeau avec des bouts de papier. On a beau pousser, le temps s’arrête. Il vaut mieux dormir en boule que veiller en fumée.
Paul WILLEMS, Nuit avec ombres en couleurs.
Après une présentation du « surréalisme face à la littérature » (cf. le bulletin no 28 du quatrième trimestre de 2006)), voici que la revue Indications publie un hors-série consacré à Paul Willems (1912-1997).
Amélie Schmitz souligne avec raison que l’architecte de La cathédrale de brume « ne recourt jamais qu’à des formulations limpides pour dire ce qui nous semble toujours si difficile à saisir ». En ouverture, un texte concis mais complet de Christian Angelet (KUL et UA) éclaire avec cette aisance qui trahit la maîtrise, sans fioritures ni concessions aux jargons du jour, les thèmes et motifs d’un univers complexe : le double, la hantise du paradis perdu, les êtres mutilés par la vie ; et ces questions centrales :« le rapport entre le mal moral et la beauté artistique » et « la légitimation de l’activité artistique dans la société qui nous entoure, et qui est vouée à la souffrance, à l’injustice et au mal ». (p. 24). Frédéric Dussenne, Paul Émond, Suzanne Émond, Thierry Robrechts et Angélique Tasiaux apportent des témoignages vécus, et la quasi-totalité des ouvrages disponibles de Willems est approchée et mise en carte dans une série de courtes mais judicieuses notices. Enfin, la pièce radiophonique Plus de danger pour Berto, créée en allemand par le Süddeutscher Rundfunk en 1966, est publiée pour la première fois. Notons au passage l’expressive photo de couverture due à André Janssens.
Le but d’Indications est de « faire découvrir une œuvre exceptionnelle à cette nouvelle génération de lecteurs et de critiques qui permet à la revue de se renouveler ». Christian Angelet conclut :
En définitive, le théâtre de Willems est inséparable de ses romans, mais aussi de ses écrits autobiographiques et de ses essais critiques. Il faut absolument lire Paul Willems.
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Il y a plus de quarante ans, ce fut Guy Vaes qui me fit connaître les proses de Willems, introuvables à cette époque déjà lointaine. Je connaissais (mal) le théâtre d’un écrivain qui, mieux encore que l’un de ses personnages, mérite d’être paré du nom combien éloquent de Vélicouseur, ange et assassin (il y aurait une belle étude à écrire sur l’imaginaire de l’anthroponymie chez Willems). Et s’il a été fait état ici, à l’occasion de la publication des lettres de Paul Willems à Jaques Ferrand, du génie du lieu et de Missembourg faisant fonction d’axis mundi, c’était déjà le thème de cette superbe Chronique du cygne (1949) dont le fil conducteur « est constitué par le conflit qui oppose le monde des jardins au pouvoir de l’argent que rien n’arrête » (Angelet). L’opposition entre les deux clans qui se disputent le pouvoir, celui des marchand et celui des jardiniers, annonce d’une manière prégnante un conflit qui a pris des dimensions planétaires.
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Jacques de Decker souligne que Willems
se méfie de la verve, du déferlement locutoire. Chez lui, le mot est traité en objet, pas en tant que perle dans des phrases qui sont autant de colliers de joaillerie. Willems savait trop, parce qu’il était polyglotte actif, le poids de chaque vocable [...].
Le mot traité en objet, le poids de chaque vocable, le glissement des langages : ce sont là les champs magnétiques qui déterminent la charge de modernité de l’univers willemsien. Tout est réel ici, en effet. Plus que d’un fantastique réel ou d’un réalisme magique, il s’agit d’un réalisme sans rivages.■
Indications, 64ème année, octobre 2007, Hors-série Paul Willems 126 p., 6 €.
http://www.indications.be